samedi 11 juin 2016

Eurosatory 2016, la balle au centre

Par une fortuite coïncidence, la fête du football et la kermesse de l'armement se déroulent au même moment. Entre le stade de Saint-Denis, celui de Lens et le parc des expositions de Villepinte près de Paris, le choix – pour certains – est cornélien.

Eurosatory est le plus important salon international de l'armement terrestre et de la sécurité. Il réunit tous les deux ans, en alternance avec celui de l'aéronautique et de l'espace du Bourget, tout le gotha des marchands de canons et des engins de surveillance.  Depuis l'époque de François 1er la France produit des armes d'excellentes réputations. Il faut s'y résigner. C'est une tradition dont elle s'accommode parfaitement mais sans l'assumer totalement. La presse est discrète, elle relaie les discours alambiqués des communicants qui refusent d'avouer qu'une arme sert à tuer. Le sujet est délicat car comme le rappel Rony Brauman dans une interview à Ouest France « L'armement dépend de la morale de chacun » l'ancien de Médecins sans frontières ajoute « vendre des Mistral c'est pas comme vendre des hôpitaux ». Oui mais, Paris vaut bien une messe et priorité à l'emploi rétorque le patron du GICAT, un groupement de 200 industriels, qui claironne l'embauche de 40 000 personnes d'ici trois ans.


En fait, la morale voudrait que l'on prohibe la vente de canons aux méchants Saoudiens et que l'on cède à prix coûtant des sous-marins aux gentils Australiens. Mais c'est impossible. C'est comme exiger le retour de Platini à l'UEFA ! La balle est une affaire d'Etat. C'est elle qui fait gagner, c'est elle qui fait dresser les foules chantantes en agitant le drapeau. Elle réconcilie et cimente l'union de la nation dans la rage de vaincre l'étranger. Mais comme partout il y a des grincheux qui sous prétexte de quelques tribunes effondrées et de rixes de supporters avinés, voudraient au nom du principe de précaution en interdire l'expansion !
Tout comme le football, l'armement suscite les débats. Étant entendu que nul ne saurait s'afficher ouvertement anti-foot ou pro-armement. Contrairement aux USA, en France on aime le ballon et on déteste les canons. C'est la raison pour laquelle on nous dit tout sur l'Euro 2016 mais rien sur Eurosatory 2016.


La 25 ème édition d'Eurosatory ressemble à un banal salon. Des stands d'exposants, des pavillons de différentes nations, des démonstrations de matériels, des conférences d'experts ... L'entrée est réservée à 50 000 visiteurs civils et militaires tous triés sur le volet. 700 journalistes accrédités répercutent l'évènement aux quatre coins du monde : on y voit cinq jours durant, une foule de pékins (surtout des hommes) avec un badge autour du cou (nom, prénom, fonction, société, pays) qui déambulent dans les allées gigantesques, s'arrêtent pour reluquer les hôtesses, ramasser un prospectus, échanger des cartes de visite. Bien entendu le lieu est plein d'espions car dès qu'une arme nouvelle arrive sur le marché, la contre-arme qui la détruira doit être au plus vite inventée. C'est comme ça depuis la lance et le bouclier, le fusil et le blindé, le missile et l'anti-missile...la logique inventive de Léonard de Vinci n'a pas changé.

Contrairement à la loi commune du marketing, ce n'est pas la compétitivité qui fait la différence, c'est la capacité de détruire et de tuer ou celle de l'empêcher. Le prix n'est jamais un problème, « nos soldats ont droit au meilleur car il risquent leur vie pour nous défendre »  résume un Général. Les salons de l'armement se distinguent de ceux de l'auto ou de l'agriculture par le fait que les vendeurs sont beaucoup plus nombreux que les clients. À Eurosatory 1 300 commerçants de 54 pays différents viennent pour placer une panoplie de 1 500 gadgets de toutes sortes auprès d'une poignée d'acheteurs. Car seuls les États membres de l'ONU ( non soumis à embargo) ont le droit d'acquérir des armes de guerre. Leurs représentants sont cette semaine les invités de la France.


Au total 118 délégations étrangères. L'affaire n'est pas simple à gérer car il faut recevoir, loger, transporter, protéger, distraire des militaires de haut rang, des ministres, des Altesses royales. Un millier de VIP à traiter avec tous les égards due à leurs rangs. La plupart s'intéressent surtout aux charmes de la vie parisienne, aux diners fins, aux somptueux cocktails, aux promesses de rencontres tardives sur les Champs Elysées...Certains ont parfois des caprices extravagants, ainsi y a quelques années, l'un d'entre eux voulut pécher à la ligne à Paris sur un bateau au beau milieu de la Seine, un autre réclama de passer la nuit avec sa compagne au sommet de la tour Eiffel...
Chaque délégation est cornaquée par un officier de liaison de l'armée française et protégée par des gardes de sécurité. Il va sans dire que les très gros clients sont particulièrement chouchoutés. Au top des favoris, il y a les Princes saoudiens.

Depuis mars 2015, la monarchie wahhabite fait pleuvoir un déluge de feu sur son voisin le Yémen. Pour certains, c'est un génocide, pour d'autres de la légitime défense et une aubaine car au doigt mouillé l'Arabie a consommé en quinze mois près de dix milliards de dollars de munitions. Alors quand sa délégation (exténuée par le jeûne du ramadan) visite le salon, tous les exposants sont aux aguets du moindre signe. Combien de temps s’attardera-t-elle chez Thales ? Passera t-elle au pavillon Turc ? Chez les Sud Africains qui viennent de lui livrer une usine produisant 900 obus par jour ? Boudera t-elle les Pays-Bas qui la boycotte, et dans une moindre mesure mais pour les mêmes raisons la Suisse, la Suède, l'Allemagne... ? Toujours cette question de morale ! Les Canadiens, après avoir brièvement hésité, ont signé un marché de 15 milliards de blindés. Les scrupules sont pareillement monnayés sans sourciller par les Américains, les Russes et les Anglais....

Dans la conjoncture internationale propice aux bonnes affaires, la contre performance des exportations d'armes israéliennes est singulière. L'État hébreu redouble pourtant d'effort pour reconquérir des parts de marché. Son pavillon regroupe une trentaine d'industriels, mais l'avenir est morose car en sélectionnant un fournisseur, les gouvernements font un choix politique, et celui de l'oppresseur du peuple palestinien est le pire du moment. Le tout nouveau ministre israélien de la guerre, l'ultra nationaliste Liberman viendra t-il à Eurosatory ? C'est peu probable. Les hommes politiques n'aiment pas s'afficher dans ces lieux. Ils préfèrent les rencontres discrètes et feutrées dans les chancelleries et les hôtels de luxe. Tout comme les intermédiaires. Il est rare de croiser au salon de l'armement ce militant socialiste très influent qui cultive l'oecuménisme d'affaires en représentant simultanément à Paris les intérêts de firmes israéliennes et saoudiennes.

On se consolera en songeant que tous les pays qui achètent et vendent des armes ne sont pas des va t-en guerre. Ainsi, l'Inde, l'Australie, le Brésil, Singapour, l'Indonésie... font-ils aussi l'objet des attentions soutenues de l'équipe de Jean-Yves Le Drian, le plus performant entraîneur de la sélection nationale du moment. Avec 16 milliards de commandes à l'export il a hissé la France sur le podium. Elle est troisième au niveau mondial mais remporte haut la main l'Euro 2016 de l'armement.

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