dimanche 3 janvier 2016

Sexe et stupéfiants en Tunisie


Cinq ans après la révolution inachevée, alors que le pays est affecté par le terrorisme la guerre de Libye et le chômage endémique, le pouvoir dans un mouvement de dérisoire diversion fait la chasse aux pédés. C'est du jamais vu sur cette terre de tolérance où l'invective de tapette n'a jamais prêté à fâcherie durable.

Les anciens se souviennent du chanteur célèbre qui se promenait à La Marsa vêtu d'une djellaba en soie rose, chemise fushia, soquettes blanches et mocassins vernis. Un jour, les notables assemblés à la terrasse d'un café rompirent le cercle pour lui faire une place à leur coté. L'un d'entre le complimenta  avec ironie: « Ya Sidi Ali, quelle allure aujourd'hui, quelle élégance...c'est bien simple, vous ressemblez à un bonbon ! »
Et encore rétorqua l'interpellé, «  tu n'as pas encore gouté l'acidulé ! »
La réplique fit le tour de la ville.
Chaque soir, le grand artiste parfumé s'en allait gazouiller d'une voix de pucelle quelques unes de ses 150 chansonnettes sublimes devant un public en pâmoison. Le Charles Trenet tunisien s'est éteint il y a quarante cinq ans, couvert de gloire. Il repose en paix dans le mausolée de son grand père, le plus adulé des Saints hommes de Tunisie.

À cette époque, l'homosexualité ne prêtait pas à conséquence. Chacun vivait sa vie, nul ne se mêlait jamais des affaires de son voisin. La Tunisie était ainsi un havre de paix pour des célèbres libertins français raillés à Montparnasse ou Saint-Germain des Près mais jamais à Sidi Bou Saïd et Hammamet. Enfin, il y avait même - extravagance sans pareil en Méditerranée - , près de la Porte de France, une allée chaude où les Tunisois faisaient la fête alternativement dans le bordel des femmes puis dans celui des hommes. Qui s'en offusquait ?

En ces temps pas si lointains, le paquet de Takrouri était vendu au tabac du coin moins cher que celui de Camel. Pourtant, les consommateurs de cannabis n'étaient pas légion, la mode étant plutôt à l'ivresse au Whisky ou à la Boukha, l'alcool de figues de Bokobsa.


Ben Ali le dictateur transforma le code Pénal en instrument d'asservissement dont il usa avec un machiavélique discernement. La police interpellait systématiquement les homosexuels et les fumeurs d'herbe. La prison ou la liberté dépendait ensuite de leur bonne volonté. C'est par ce marchandage immonde que furent recrutés des centaines de milliers d'indicateurs parmi lesquels des personnalités étrangères influentes : hommes politiques, diplomates ou journalistes tous pris dans le piège d'une rencontre honteuse, prélude à un interminable chantage.
Depuis la Révolution, le pouvoir a abandonné ses mauvaises manières mais le code Ben Ali est toujours en vigueur et nul ne sait où reposent les archives des années noires de la police politique.
Aujourd'hui, la Tunisie dont la constitution vertueuse est l'une des plus aboutie, s'accommode mal de l'héritage de cet arsenal de lois totalitaires.

L'homosexualité masculine ou féminine est punie de trois ans d'enfermement. Il faut et il suffit d'en apporter la preuve par témoignage ou examen « médical ».
L'union passagère est un crime. Si le couple est âgé de moins de vingt ans la peine de prison est doublée.
Peu de touristes savent que leurs aventures pédophiles sur les plages chics de Monastir ou de Djerba peuvent selon le Code les conduire à la potence.
Légalement toute copulation hors mariage est passible de prison.

À Kairouan récemment, la police a investi une maison où « s'ébattaient » des couples de garçons. Arrestation. Test anal. Trois ans de prison par application de l'article 230.
Ce cas n'est pas isolé. Les condamnations sont courantes mais habituellement, les victimes et leurs familles cachent leurs déshonneurs. Mais depuis quelques mois, des militants courageux dénoncent sur les réseaux sociaux l'ampleur de l'homophobie officielle. Menacés de représailles, certains fuient et réclament l'asile politique à une Europe embarrassée.
De leurs cotés, les couples homosexuels européens de touristes, hommes d'affaires, diplomates... désertent la destination du jasmin.

Le problème est devenu politique depuis qu'un estimable ministre de la justice a émis le projet de réformer la loi homophobe. Désavoué par son gouvernement, il a été contraint de démissionner.
À Carthage, on rappelle que dans une dizaine de pays musulmans, la sodomie est punie de mort et que l'opinion tunisienne n'est pas prête à accepter un processus qui conduirait à la reconnaissance de l'union libre et en tous genres.
Le gouvernement de coalition nationale ne veut pas s'aliéner les intégristes musulmans même si le leader du parti islamiste a déclaré timidement qu'il ne s'opposerait pas à la révision du Code.
Finalement, pouvoir et opposition cherchent à éviter un débat de nature à fâcher l'Arabie et le Qatar, objets d'intenses câlineries diplomatiques.

En attendant, la jeunesse gronde. Parmi les 6 000 hommes et 700 filles référencés combien de maboul sexuels frustrés sont partis vers la promesse d'une baise éternelle ? Vers l'amour à gogo sous l'effet du Captagon, un puissant inhibiteur qui transforme les chiffes moles en super héros ? Subliminal message au revers de la bannière : « jihad, sex and drug »

En Tunisie la loi du 8 mai 92 punit de un à cinq ans de prison tout détenteur ou consommateur de plante ou de matière stupéfiante ; héroïne, moquette ou Datura, c'est kif kif.
Il n'y a aucune circonstance atténuante, même la tentative est punissable.

Cette disposition est la cause d'un cauchemar de masse. Pour avoir fumé de la « zlata », 11 000 condamnés croupissent sous les barreaux ! (à l'échelle de la population française, cela équivaudrait à 80 000 détenus) La plupart ont moins de 23 ans.
Il y aurait davantage de jeunes en tôle que de conscrits sous les drapeaux !

Sexe et drogue gangrènent l'avenir de la paix sociale et les perspectives d'achèvement de la démocratie.

Reste la consolation de la liberté d'expression dont les Tunisiens usent et abusent. Courageusement. Car la diffamation, la fausse nouvelle, l'insinuation, peuvent valoir le cachot. Sans compter tout l'arsenal légal qui protège les fonctionnaires et garantit « la sureté de l'État ». Sous ce prétexte, les insolents au verbe haut ont vite fait de se retrouver à l'ombre avec les bloggers et autres rappeurs imprudents. Combien de jeunes sortent encore meurtris des commissariats comme la téméraire Afra, lycéenne du Kef qui eut le culot de parcourir la ville avec un calicot dénonçant le projet de destruction d'un site historique par un promoteur peu scrupuleux.

Le pouvoir met ces dérapages sur le compte de l'état d'urgence face au terrorisme. En réalité, la police a repris ses mauvaises manières. Le fléau de la justice penche trop souvent d'un seul coté. Malgré les tortures avérées, l'article 101 bis réprimant tout acte de violence physique ou moral commis par un fonctionnaire n'est jamais appliqué.

Ces iniquités judiciaires se cumulent avec les autres injustices sociales et territoriales, elles menacent le fragile ciment de l'identité nationale.
Les politiciens conservateurs ont confisqué la Révolution aux jeunes insurgés de la Kasbah. À ceux là même dont on a oublié qu'ils avaient à l'époque été nominés pour le Nobel ! Cinq ans plus tard, le prix est revenu à quatre institutions de notables: avocats, droits de l'homme, syndicat et patronat. Fortes de cette reconnaissance internationale, et auréolées de la fierté nationale, il leur revient à présent de porter la voix de la jeunesse pour faire sortir la Tunisie de sa léthargie.


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