lundi 20 avril 2015

Le Drian ministre du moment


C'est un homme tout en rondeur, affable et taiseux. Il écoute avec attention puis murmure ses décisions sans appel à l'oreille de la grande muette qui obtempère en claquant des talons. Le Drian est le grand ministre du moment. Il caracole en tête des sondages d'opinion. Certes son service de communication n'y est pas pour rien, mais en moins de trois ans, ce sexagénaire a réussi l'exploit de se faire aimer à la fois des généraux et des industriels de l’armement ( pour la plupart gens de droite) qui ont découvert avec surprise les charmes discrets de ce socialiste authentiquement Républicain.

Têtu et âpre au travail comme un Breton, il a depuis la communale jusqu'à l'agrégation d'histoire gravi tous les étages de l'ascenseur social et s'est finalement imposé comme le baron de sa région. À l'époque, Edith Cresson, alors première Première Ministre de la République en avait fait son Secrétaire d'Etat à la mer, un portefeuille hélas aujourd'hui disparu. (L'administration du deuxième plus vaste territoire maritime du monde, a été englouti par les politicards en quête d'électeurs. Or, à Clipperton, aux Kerguelen ou aux Gambier le vote ne fait pas la différence).
Il a été successivement maire de Lorient, député du Morbihan, Président de la région des Bretons, alors forcément, l'armée, il connait. La Bretagne c'est une quinzaine de sites militaires de première importance, mais surtout des bassins d'emploi industriels dont la survie dépend des commandes des Etats français et étrangers. C'est sans doute pourquoi, dés son élection, Hollande l'a propulsé au Ministère de la Défense.

Si on se résout à n'y faire rien, le poste de ministre de la défense est la sinécure du gouvernement. Il suffit de se laisser guider. L'armée de métier emploie 280 mille hommes et femmes bien encadré par 500 généraux et 3000 colonels, elle pourrait se passer de politicien. Dès sa nomination, le ministre est initié à son nouveau métier par la visite d'installations stratégiques qui lui font mesurer l'importance et la complexité de la machine à défendre la France. Immédiatement rassuré par le pléthorique cabinet militaire mis à sa disposition, il prend vite l'habitude de faire ce qu'on lui suggère. Voici pourquoi, ce ministère de souveraineté et de prestige a souvent été attribué à des leaders politiques de parti croupion en récompense de leur allégeance à la majorité : Longuet, Léotard, Millon.... A l'inverse, et sans remonter à Clemenceau, l'armée a conservé de meilleurs souvenirs de Messmer, Giraud et surtout de Pierre Joxe, le grand serviteur de l'Etat des années Mitterrand. Bref, le locataire du superbe Hôtel de Brienne a le choix entre parader le menton levé en se gonflant d'importance ou aller mouiller sa chemise voir son froc dans les garnisons lointaines et sur les théâtres d'opérations.

L'armée nationale, comme la France traverse une crise aiguë de gouvernance économique et financière. Au fil des ans, le budget de la défense a été amplement grignoté. Pour exemple, les effectifs de la marine qui ont été réduits de moitié en 20 ans ! Difficile dans ces conditions de maintenir à son niveau le fameux « rang de la France dans le monde » : 6ème armée derrière l'Inde et la Grande Bretagne, mais devant l'Allemagne et la Turquie. Alors, la banque a suggéré des solutions que les gouvernements successifs de droite et de gauche ont adoptées. Ainsi, l'externalisation et le partenariat privé permet d'entretenir vaille que vaille une défense à crédit. Il y a longtemps que des pans entiers du soutien aux armées comme le gardiennage et la restauration ont été confiés à des entreprises civiles et le futur ministère de la Défense, propriété de Bouygues sera loué à l'Etat à prix d'or. Les énarques de Bercy songent même à encourager la création de sociétés de leasing publiques-privées pour commercialiser des armes en location longue durée avec option d'achat. Ces business modèles sont loin d'être compatibles avec la culture militaire et de surcroît, ils engendrent des surcoûts stratosphériques à l'exemple du logiciel de gestion de paye « Louvois » vendu en 2008 par Steria (slogan : l'excellence n'a pas de limites ) qui continue de semer une invraisemblable pagaille.

Malgré tout, l'armée française parvient à donner le change et faire bonne figure sur la scène internationale. Elle est déployée dans une douzaine de pays étrangers et entretient les forces dite de souveraineté d'outre-mer soit au total environ 20 mille hommes mobilisés hors de l'hexagone. Avec peu, elle fait beaucoup. Le challenge est permanent car d'année en année, les crédits diminuent. À peine votées les lois de programmation sont déjà dépassées car dans le même temps, le Président de la République, revoit à la hausse les prétentions de la France à partir guerroyer sur tous les fronts de la terre.

Pour le ministre de la Défense, la mission n'est pas simple. Il court les garnisons pour éviter les rebellions et caresse dans le sens du poil les officiers d'Etats Major. Les soldats serrent la main en serrant les dents. Les moyens manquent. Les matériels imaginés par les stratèges il y vingt ans, testés il y dix ans et commandés il y a cinq ans arrivent en livraison. Il faut payer les Rafales et les frégates multi-missions. L'Etat n'a plus d'argent. La solution d'urgence pour alléger momentanément le fardeau est de les revendre à l'étranger. Voilà pourquoi Le Drian s'est transformé en exportateur VRP.

Avant lui, Nicolas Sarkozy s'était essayé à la tache. Il avait constitué une petite équipe d'hommes inexpérimentés guidés par une idée simple : pour vendre à l'étranger, il faut corrompre. C'est utile certes, mais ce n'est pas suffisant. Voilà pourquoi, le Président ancien et sa bande de Pieds-nicquelés ont additionné les râteaux humiliants sur tous les continents sans parvenir à placer une seule cartouche à blanc.
En ce domaine, le premier mérite de François Hollande est d'avoir fermé la salle d'affaires de l'Elysée. Selon la Constitution, il est le Chef des armées et Préside le Conseil de Défense nationale. Point. L'intendance n'est pas de son niveau.

De par ses enjeux de souveraineté et sa confidentialité le commerce des armes relève du gouvernement. Aucune entreprise ne peut échapper à la dépendance du ministère de la Défense qui est son unique client en France et son organe de tutelle pour toutes ses exportations.
Il faut reconnaître au ministre l'art de la manoeuvre. Il a réussi à écarter discrètement les petits marquis, les étoilés et les affairistes de l'ancien régime, il a converti ceux qui n'étaient pas compromis puis il a initié une méthode pragmatique d'appui aux industriels en imposant une politique d'arbitrage de compétence à la toute puissante Délégation Générale à l'Armement. Airbus Group, Dassault, Nexter, DCNS, Safran, Thales...en avait rêvé, Le Drian l'a fait.

La France se hisse soudain de la sixième à la troisième place mondiale pour les exportations de canons. Ce n'est pas le motif de fierté auquel rêvaient les Français, mais depuis que François 1er a offert l'asile à Léonard de Vinci, les arts et les armes font excellent ménage.
Le savoir faire ne manquait pas, mais le savoir vendre faisait défaut. L'exportation de systèmes militaires sophistiqués est difficile en raison de sa concurrence avec les services spéciaux des états industrialisés prêts à toutes les turpitudes. Vendre un char ou un missile, c'est s'opposer à la rivalité sournoise de la Russie, des Etats Unis, de la Grande Bretagne et accessoirement d'une quinzaine de pays tous plus malins et influents les uns que les autres. Pour réussir, il faut fédérer pendant des mois ou des années des équipes d'ingénieurs civils et militaires, des commerçants pluri-culturels, des contre-espions futés ; il faut posséder un chef d'orchestre talentueux et en dernier lieu obtenir le coup de pouce d'un ministre intelligent.

En quelques mois, Le Drian a réalisé l'exploit de concrétiser plus de dix milliards de vente. La commercialisation du Rafale en Egypte et en Inde est un exploit sans précédent aux retombées concrètes : des dizaines de milliers d'emplois, et un répit salutaire pour les commandes du ministère de la défense en difficulté financière.
Mais le destin du ministre est de mieux faire encore. Après le secteur de l'armement, c'est toute l'industrie française qu'il faudrait sauver du naufrage en redressant son commerce extérieur déficitaire. Il faut faire vite. Alors, Jean-Yves Le Drian à Matignon ?

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