samedi 2 août 2014

Tunisie, l'armée veille sur la Révolution

Ben Ali, Général de police avait gagné ses galons par la délation de complots imaginaires. Parvenu à la dictature suprême il consacrait des heures à mettre à jour ses innombrables fiches qu'il plastifiait et classait méthodiquement. Le taciturne était un méfiant qui portait en toute circonstance un gilet pare balles. Tous ceux qui l'approchaient étaient préalablement fouillés au corps. Par dessus tout, il redoutait les militaires, en particulier les diplômés des académies qui lui paraissaient constituer une menace permanente à la survie de sa médiocrité. C'est pourquoi, plusieurs réseaux de mouchards spécialisés étaient chargés de les surveiller. Un jour, par émulation, zèle ou jalousie, une équipe de cafards inventa un complot militaire islamiste. Le satrape parano de Carthage s'en délecta. Il ordonna l'arrestation de 25 officiers supérieurs, 88 officiers, 82 sous-officiers et 49 troupiers, en tout 244 hommes d'élite.

L'un d'entre eux, Sami Kurda a raconté sa descente aux enfers. «  Le Complot de Barraket Essahel » publié aux Sud éditions est un coup de poing à l'estomac qui donne envie de donner l'accolade à l'auteur. 
En mai1991 des arrestations se succèdent au sein de l'armée.  «  non pas moi ! » pense le jeune Commandant « je n’ai strictement rien à me reprocher » Il avait tort.
Livré  à la police politique, il sera ignominieusement torturé.
Son livre est le récit méthodique de ses souffrances et de celles de ses codétenus. Mais contrairement aux témoignages habituels du genre, l’homme ne fait pas le fier, il relate avec sincérité ses terreurs et ses lâchetés. Craignant la douleur, il confesse qu'il espérait la mort. Alors qu'on lui demandait la liste de ses complices, il suppliait ses bourreaux : « aidez-moi, mettez-moi sur la voie ! » Un tortionnaire lui souffle la première lettre d'un patronyme à deviner. Aussitôt la boule de chair cherche désespérément des noms à livrer. Il avoue tout ce qu’on lui demande, il signe sans ouvrir les yeux. Enfin, on le laisse gémir en paix. Une nuit, le Général-Président de la publique fait une ronde pour s’assurer du sanglant de ses ordres.

Après avoir taillé dans les chairs pendant quatre semaines, les tortionnaires imbéciles finissent par se rendre à l'évidence des invraisemblances : l'affaire est bidon. Le ministre de l'intérieur de l'époque Abdallah Kallel regroupe les officiers dont certains doivent être portés, il bafouille des regrets aux innocentés qui sont pansés avant d'être libérés puis très vite révoqués sous des prétextes divers.
Commence alors pour ces handicapés dépouillés de leurs uniformes une vie de paria «  nous avions quitté les murs du pénitencier pour nous retrouver dans une prison à ciel ouvert ». Privés de carte d'identité et donc de toute capacité citoyenne élémentaire : travailler, se soigner, conduire une voiture, ouvrir un compte en banque, payer son électricité, à chaque contrôle de police commissariat assuré, surveillance du domicile, écoutes téléphoniques, perquisitions nocturnes intempestives.... 20 ans de brimades incessantes !

L'inespérée Révolution de janvier 2011 est une délivrance.
Enfin, les bataillons de martyrs peuvent réclamer justice. Mais l'enquête à peine ouverte est très vite refermée car les bourreaux d'hier sont encore puissants aujourd'hui. Les condamnation à des peines légères sont vite purgées. Qu'importe, les victimes s'organisent en association et réclament leur réhabilitation.
C'est chose faite.

Jeudi dernier, sous les ors de la grande salle du Palais de Carthage, le Président de la République Moncef Marzouki (ancien Président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme) a rassemblé les rescapés et leurs familles.
Au premier rang, au coté du ministre de la défense, sur une chaise vide, la casquette du regretté Colonel Mohsen Kaabi : 54 jours de torture, deux décennies de persécutions administratives et policières. Cérémonie émouvante ponctuée d'hymnes et de youyous. Défilés des officiers réintégrés dans leur grade et leur honneur. Discours sobre et digne de leur porte parole le Colonel Major Mohamed Ahmed.

Le dénouement de cette affaire marque l'Histoire de l'armée tunisienne d'un nouveau jalon tout à son honneur.

Car discrètement mais avec détermination la petite armée n' a de cesse d'afficher l'exemple de ses vertus républicaines. Chacun se souvient qu'elle déclinât le pouvoir au matin de la révolution alors que la foule de la Kasbah l'y invitait. Ensuite, tous les officiers nommés à des responsabilités civiles se sont spontanément effacés refusant les prébendes des hommes politiques qui voulaient les instrumentaliser.
Depuis, l'armée tunisienne se consacre entièrement à la préservation de l'intégrité du territoire : contenir la folie meurtrière contagieuse de la Libye, coopérer avec l'Algérie pour combattre les trafiquants-tueurs d'Acmi, repêcher les corps des naufragés de l'immigration vers Lampedusa... Ce n'est pas rien ! Les défis sont immenses, les moyens dérisoires, l'aide internationale timide.
La grande muette assume, elle encaisse en silence. Inlassablement, elle enterre ses morts, victimes de souricières terroristes. 
Principale bouc émissaire de la dictature d'hier, l'armée tunisienne paye aujourd'hui le plus lourd tribut à la révolution dont elle est devenue de facto la plus populaire des gardiennes.
L'épilogue de l'affaire du faux complot Barraket Essahel montre que les officiers tunisiens sont des républicains discrets qui n'oublient rien.

Aucun commentaire: