mercredi 9 juillet 2014

Abu Bakr Baghdadi, le Calife de l'été arabe




Ce qui se passe en Mésopotamie n'est pas anodin et risque de bouleverser la marche du siècle. La proclamation du Califat à Mossoul n'est pas une péripétie bouffonne des guerres levantines, c'est la victoire du terrorisme transnational. Le drapeau d'Al Qaïda flotte désormais sur un territoire dont les frontières -provisoires- englobent le tiers de la surface de l'Irak et de la Syrie.
C'est stupéfiant.
Les échos de la réalité sur le terrain montrent l'incroyable complexité d'une situation qu'il est difficile d'échographier.

Pourquoi Mossoul est tombée ?
Quelle menace représente cet autoproclamé Calife ?

L'Irak n'est pas seulement un champ de pétrole, c'est aussi l'habitat d'une mosaïque de peuples de 36 millions d'âmes dont la violence est attisée par l'étranger qui depuis plus d'un siècle veut le voler. Mais au delà de leurs querelles intestines ancestrales, les Irakiens restent soudés par le partage d'une haine commune envers tous ceux qui sont venus les combattre sur leur sol.
Les guerres du Golfe, la résistance contre les forces occupantes et leurs mercenaires ont saigné des centaines de milliers de civils. Depuis trente ans l'interminable cauchemar perdure. Le peuple jadis le plus riche et le plus développé des arabes a dégringolé en l'espace de deux décennies au stade de la rapine et de la mendicité façon Mad Max. Il subsiste par la rage de sa fierté car au fond de lui même, il demeure babyloniens, abbassides, nationalistes panarabes, glorieux d'épopées chiites, sunnites, chrétiennes, païennes, de compromis et d'armistices.
La proclamation sans résistance du Califat du Levant résulte de la lassitude de leur l'Histoire.

Alors, tout plutôt que les bombes !
Les nostalgiques du Baath adhèrent, les tribus sunnites applaudissent, les populations tellement meurtries par le régime de terreur « démocratique » fantoche de Bagdad espèrent le retour de la dictature du pain. C'est sans doute pourquoi, sans coup férir, le nouveau Calife a conquis Mossoul seconde ville d'Irak, seconde garnison, second arsenal, clé du pétrole et de l'eau...Ce n'est par rien !

La prise de Mossoul est une énigme. Les stratèges des académies militaires n''expliquent pas comment une bande de 800 à 3 000 jihadistes ont pu vaincre six brigades : blindés, commandos héliportée et infanterie. En tout trente mille hommes ! Pire, il semblerait que l'armée irakienne forte de 270 000 conscrits et dont le budget annuel engloutit 17 milliards de dollars ait été incapable d'esquisser la moindre riposte. Les défenseurs de Mossoul n'ont pas tenu plus de trois jours. Le Général divisionnaire commandant la place a déserté avec son état-major au complet. On rapporte que la plupart des soldats des garnisons et ceux accourus en renfort ont, crosse en l'air, fait allégeance aux insurgés. Cette débâcle sans précédent dans les annales militaires atteste de l'effondrement total de l'Etat irakien et de l'adhésion de la population à la partition de l'Irak.
D'évidence, Mossoul était promise avant d'être conquise.

Devant les cortèges de Toyota blanches surmontées de mitrailleuses, toutes les portes de la ville se sont ouvertes. La police s'est évanouie. Le gouverneur et tous les hauts fonctionnaires ont fui , immédiatement remplacés par des baathistes expérimentés. En deux semaines ils ont rétabli l'eau et l'électricité, remis en ordre de marche les services publics. Ce qui dénote une organisation structurée et préparée qui dispose d'une capacité de gouvernance.
« Si ça continue comme ça, nous allons aimer le Califat ! » a lancé un habitant à l'un des rares journalistes étrangers.

Dans toutes les capitales, les jihadistologues se perdent en conjecture pour tenter de comprendre la stratégie de ce prêcheur inconnu qui depuis Mossoul, un vendredi de ramadan, est venu les perturber durant la coupe du monde de football.
Qui est cet autoproclamé chef suprême des mohametants ?


Awad Ibrahim Ali Badri, entré en guerre de religion sous le pseudonyme d'Abu Bakr al Baghdadi al Husseini al Quraychi (que l'on ne tardera pas a acronymer ABABA), est un salafiste d'une quarantaine d'années dont la carrière de jihadiste a commencé sous Saddam Hussein. Il a ensuite été arrêté par l'armée américaine qui l'a libéré quatre ans plus tard en 2009 sans doute pour repentir et bonne conduite.
A la tête d'une petite troupe bien entrainée d'origine hétéroclite affiliée à Al Qaïda, il a gagné en audience au fur et à mesure de ses exploits sanglants en Irak puis en Syrie. Sa notoriété lui a valu une mise à prix de dix millions de dollars par les Américains. Par média interposé après avoir créé « l'Etat islamique d'Irak (ISI en anglais) » il a fondé « l'Etat islamique d'Irak et du Levant (ISIS)», élargissant ainsi ses prétentions territoriales au Liban et à la Syrie, avant de s'autoproclamer Calife et annexer putativement la Jordanie, les Etats du Golfe et cela va sans dire, l'Arabie Saoudite, les Emirats et le Yemen. Le reste du monde musulman suivra. L'homme qui est un super pro de la communication a les moyens de son ambition. Déjà, son exploit de Mossoul lui vaut le ralliement en cascade de toutes les factions jihadistes. Sa petite troupe de quelques milliers d'hommes est en passe de se muter en armée puissante et organisée.
On prétend qu'il dispose d'une cassette de deux milliards de dollars, ce qui est possible. Ce magot abondamment alimenté par des services secrets saoudiens -mais pas seulement- qui pensaient l'acheter a été relayé par des milliardaires fascistes orientaux.
Aujourd'hui, le calife dispose d'un butin considérable car il assure désormais la « sécurité » des puits de pétrole de la province de Ninive, de quelques pipelines et de la principale raffinerie d'Irak. Mais le plus important : il contrôle la plupart des grands barrages de l'Euphrate et du Tigre en amont de Bagdad. Ce qui le met à l'abri du besoin et en posture de négociation avantageuse avec ses voisins.

L'identité d'emprunt qui est affichée par el Calife ( en arabe le successeur) emporte usurpation de légitimité. Abu Bakr al Baghdadi al Husseini al Quraychi.
Abu Bakr est le prénom du premier Calife en 632, c'était le plus fidèle compagnon de Mohamed, il repose aux côtés de la tombe du prophète à Médine.
Baghdadi, celui qui est de Bagdad, évoque la lignée des califes Abbassides (descendants de Abbas, l'oncle de Mohamed)
Husseini, évoque le martyre du petit fils du Prophète, tombé en 680 à Kerbela en Irak, adulé des chiites.
Accessoirement, Husseini est aussi une noble lignée de résistants palestiniens, ce qui ne gâte pas la nouvelle carte de visite du roturier Calife !
Quraych, famille apparentée à l'envoyé d'Allah. Le Coran lui consacre une courte sourate, c'est le patronyme le plus vénéré des musulmans. Un mouhaddith rapporte que le Messager de Dieu aurait proclamé que le califat restera parmi les Quraych même lorsqu'il ne restera plus que deux personnes sur terre.

Vu de Washington et des capitales européennes, Mossoul est loin. Le cours du baril de pétrole n'a presque pas bougé. Alors rien de grave ! Un nouveau Ben Laden est sorti du chapeau ? C'est de la routine ! Du moment qu'il reste confiné en Mésopotamie à porté du Hellfire des drones... Toutefois, par précaution et dans l'éventualité d'une évacuation de ses ressortissants, les USA ont envoyé un porte avion dans les eaux du Golfe et ils ont renforcé leurs bunkers sur zone.
On est en juillet, Paris, Rome, Londres et Berlin sont à la plage. Il sera bien temps en septembre de démêler cette inextricable écheveau de ficelles à marionnettes.

Les Saoudiens eux, ont carrément paniqué. La cour qui estivait au Maroc est rentrée précipitamment. Sur le chemin du retour, le roi Abdallah s'est arrêté au Caire pour louer des hommes de troupe au Maréchal Sissi. Car en Arabie où aucun citoyen saoudien ne saurait être simple soldat, le monarque a grand besoin de mercenaires frais. D'autant qu'il a décidé de masser 30 000 hommes supplémentaires le long de sa frontière fortifiée avec le nouveau Califat d'Irak. Il s'agit de veiller au pied d'un mur de sept mètres de haut, long de 900 kilomètres, truffé de systèmes de mise à feu électroniques sophistiqués.
Pour autant, le vieux monarque n'est pas rassuré. Il se sent abandonné par la communauté internationale qui s'accommode de la mise à la corbeille des accords frontaliers Sykes- Picot de 1916 et du pacte US-Saoud du Quincy de 1945. Le roi d'Arabie constate que les factions jihadistes de la coalition combattante en Syrie font allégeance au nouveau Calife de Mossoul et que « L'armée de Mohamed » qu'il a financée jusqu'à l'an dernier à coup de milliards pour éliminer Bachar el-Assad risque de se retourner contre sa dynastie pour permettre au jeune Calife Abu Bakr al Bagdadi al Husseini al Quraych de lui ravir son trône de Gardien des lieux Saints.

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