mardi 7 janvier 2014

Reverzy et Cossery, deux écrivains pour survivre




De chaque coté de mon lit tourné vers l'Est, deux gros livres encadrent mes insomnies. Des mots ciselés, des phrases qui sonnent, des pages oubliées. Deux chefs d'oeuvres en miroir. Le jour et la nuit, l'ombre et la lumière d'une pareille beauté. Au chevet nord, Reverzy le lyonnais, au sud Cossery l'égyptien. Jean qui pleure, Albert qui rit. L'harmonie parfaite d'une rencontre entre deux sommets littéraires qui se complètent et que je vais tenter de vous résumer.



Jean Reverzy reçut le prix Renaudot en 1954 pour son premier roman « Le passage ». A quarante ans, il lui restait sept livres à publier et cinq années à vivre. Le savait-il ?
Docteur des pauvres, capitaine maquisard héros de la résistance, père tardif d'un fils unique, harcelé par des divorcées cupides, Reverzy était un gentil qui subissait. L'écriture était son refuge.
On l'imagine le soir, dans le silence de son cabinet médical de la Place Bellecour, penché sous la lampe, traçant fébrilement une écriture droite, pure, loyale, dépouillée, célinienne mais sans méchanceté. Reverzy qui ne croyait en rien est un modèle qui mériterait d'être canonisé au Vatican des écrivains.
Il était devenu médecin par empathie mais aussi par dépit car l'école navale n'avait pas voulu de lui. Frustré de voyages lointains, il pressentit l'urgence au soir de sa vie, d'aller visiter le paradis. Il fuit vers Bora Bora et Raiatea où il rédige l'histoire d'une petit colon, Palabaud, qui coule des jours heureux auprès des vahinées. Et puis soudain un jour : une gêne, un bobo, un mal, une douleur, une souffrance, une agonie, la mort et l'autopsie. « Le passage » est le récit fulgurant de la grande éclipse.
Les autres romans et nouvelles de Reverzy sont de la même stupéfiante beauté noire. A lire et relire, l'inoubliable soirée chez le Professeur Joberton de Belleville, mandarin méprisable de la « Place des angoisses ».
Oeuvres complètes chez Flammarion.

Albert Cossery restera le plus grand écrivain arabe contemporain de langue française. Il composait en arabe, il écrivait en français.
Ses mots se dégustent comme des friandises, ils sonnent à l'oreille comme ceux de Piaf ou de la mère de Kalthoum. Un style d'écriture incomparable, des dialogues magiques. Une splendeur d'oeuvres mauresques.
Il est mort il y a peu dans le petit hôtel de Saint-Germain-des-près où il vécut de rêves et d'insouciances comme les personnages de ses romans.
Toute l'oeuvre de Cossery l'égyptien est consacrée à la rue arabe. Non pas celle des quartiers européens du Caire ou d'Alexandrie que les touristes traversent en autocar climatisés, mais celles les venelles fumantes de crasse et de misère où se faufilent des êtres de lumière. Le sourire, le rire, la boutade, la joie de vivre est partout. Etonné de survivre à tant d'adversité, l'Egyptien est en perpétuelle allégresse. Il goûte le moindre souffle d'une vie qu'il sait fragile et éphémère. Son dénuement est sa richesse. Il n'a rien à perdre, rien à espérer, alors il picore le bonheur dans le ruisseau avec ses compagnons de la faim, en dînant d'un bon mot. Rien, non rien ne peut ébranler l'optimisme et la joie de subsister d'un Egyptien.
Misr oum el douniya, matrice de l'univers. Ce pays est la conscience de l'humanité car depuis des millénaires il rit, plaisante, danse, chante sa disette et sa souffrance cependant que le monde des repus se lamente. Mais « Les hommes oubliés de Dieu », les « Mendiants et orgueilleux » les damnés de « La maison de la mort » portent sereinement l'espoir d'une vengeance certaine, celle d'un peuple opprimé qui s'éveille et que rien ne pourra arrêter. C'est la prophétie de Cossery.
Oeuvres complètes aux Editions Joëlle Losfeld.

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