mercredi 29 janvier 2014

Tunisie, la seconde Révolution




L'Assemblée Nationale Constituante a voté : 200 voix pour, 12 contre, 4 abstentions, 2 morts. La Constitution Belaïd/Brahmi, du nom des deux députés assassinés, a été adoptée ce 27 janvier. Un gouvernement composé de technocrates candides a été chargé d'expédier les affaires urgentes et de préparer des élections générales. C'est la seconde Révolution Tunisienne !



Trois ans de palabres, de pleurs, de sueurs et de sang pour arriver à ce résultat ! De prime abord c'est du temps perdu bien cher payé. Mais comparé au nombre de victimes des soulèvements libyens, égyptiens, bahreiniens, syriens... finalement, l'addition des souffrances tunisiennes est légère au regard de la formidable mutation de la Tunisie.

La liberté d'expression politique y est devenue sans entraves. Avec des excès sans pareil même dans les plus tolérantes des démocraties. Imaginez onze millions d'amputés des amygdales recouvrant tout à coup la voix. Ils se sont mis à hurler leur fiel jusqu'à l'hystérie ; injurier le Président de la République, vomir le Premier Ministre, insulter les gouverneurs. Ils avaient un besoin pressant de purger tant et tant d'années de silences ravalés.

Les députés de la constituante ont donné l'exemple de débats agités, ils se sont copieusement conspués, déchirés, maudits à en venir parfois aux mains. Et puis, au bout du compte, dans un élan de salut national, ils ont fraternisé en votant unanimement le livre de la Constitution. On pourrait ergoter sur l'ambiguïté de tel ou tel article, l'essentiel est que la loi suprême instaure un régime de séparation des pouvoirs et consacre l'égalité des citoyens des deux genres.
Mais l'important de l'important n'est pas là.

De cette assemblée hétéroclite, constituante de la diversité du peuple tunisien, l'Histoire retiendra que soudée par un idéal patriotique commun elle est parvenue à sublimer ses différences en empruntant la voie de l'échange, du compromis et finalement de la démocratie.
Démocratie. Pour la première fois dans l'Histoire de la Tunisie, cette racine grecque est traduite en arabe. Démocratie : tout élève de Sciences-Po vous le confirmera, c'est d'abord l'acceptation de l'alternance, vertu hier encore inconnue sur cette terre.
Pour marquer l'étape de l'ère nouvelle et alors qu'aucune loi ni menace des armes ne les contraignaient, le premier ministre et son gouvernement ont démissionné. Les premiers démocrates de la Kasba méritent le Nobel !

Il faut rendre au parti Ennahdha et à son leader Ghannouchi l'hommage qui leur revient. Ils tenaient le pouvoir du peuple, ils le lui ont rendu, ils le reprendront « si un jour le peuple le veut ». On pourrait rappeler leurs insuccès cumulés, chipoter sur les circonstances,  la conjoncture, supposer une habile stratégie politicienne, trouver mille et une arrière-pensées. Ce serait masquer la grandeur de l'événement sans précédent qui marquera un tournant que l'on espère contagieux dans l'ensemble du monde arabe.
Les islamistes tunisiens ont démontré magistralement qu'ils n'étaient pas les ennemis de la démocratie. Ce n'est pas rien lorsqu'on se souvient que c'est sur ce préjugé que l'Algérie voisine avait déclenché une guerre civile effroyable dont les soubresauts perdurent encore. Le mouvement Ennahdha qui rassemblait toutes les sensibilités islamistes a réussi la synthèse et vaincu les débordements intégristes. Ghannouchi n'a finalement pas cédé aux chants des pétrodollars de l'islam sectaire. Sans doute a-t-il puisé l'inspiration de sa résistance dans les racines profondes de l'islam malékite maghrebin.

Il y a trois ans, le soulèvement des Tunisiens contre la dictature avait déclenché un vent de révolte dans l'ensemble du monde arabe, aujourd'hui les démocrates-musulmans d'Ennadha constituent une menace pour les wahhabites saoudiens et qatariens. L'offense tunisienne leur est insupportable, ils ne peuvent pas ne pas réagir.
Les mois à venir seront ceux des plus grands périls.

Il faur d'urgence prévenir la misère en résorbant spectaculairement le chômage. Le patronat doit se mobiliser, attiser la production, jeter du lest pour compenser la dégradation du pouvoir d'achat. Cet élan doit être énergiquement aidé par la communauté internationale.
La France a des devoirs envers la Tunisie : histoire, économie, culture, immigration. Il revient à François Hollande - en marge des pesanteurs de l'Union Européenne -, de prendre l'initiative d'un Plan Marshall. Il sera rejoint à la table des bonnes volontés par l'Allemagne, l'Italie et sans doute par la Grande Bretagne et les Etats-Unis car tous ont en commun l'intérêt d'éviter d'insulter l'avenir de leur propre pays.

samedi 18 janvier 2014

Françarabie, l'homme qui vaut des milliards



Depuis les années de Gaulle, le commerce de la France avec l'Arabie Saoudite était une chasse gardée dont les socialistes se tenaient à l'écart. François Mitterrand ménageait le premier fournisseur de pétrole de la France, mais il ne copinait pas. Les ministres de Jospin, par crainte de subir les foudres des militants, évitaient soigneusement de se faire photographier aux côtés de leurs homologues enturbannés. Tout au plus, laissaient-ils leurs épouses fréquenter les princesses voilées.
Depuis, le PS a mis de l'essence dans son vin. Son ancien Premier secrétaire devenu Président de la République a réussi la synthèse entre la famille de Jaurès et celle des Saoud.
Socialisme et salafisme sont désormais commercialement compatibles.

L'Elysée s'est trouvé de nouveaux amis qui bousculent les réseaux de connivences établis ; alors en coulisse, la guerre des gangs d'affaires a commencé. Le contentieux EDF/SOROOF et la rivalité Thalès/ EADS sont étalés sur la place publique.
Car contrairement aux Britanniques, Allemands, Japonais, Américains, la maison France n'a pas pour habitude de serrer les rangs. Elle exporte ses querelles internes jusqu'à l'insuccès.
L'Arabie est un laboratoire in vitro dont les enjeux économiques et stratégiques sont hors normes. Riyad est un client fidèle qui absorbe le tiers de la production française des industries de défense.

Le centre nerveux du dispositif commercial franco-saoudien de l'armement est une structure créée il y a quarante ans. La SOFRESA, véritable centrale d'achat de l'armée saoudienne en France a été la très discrète poule aux œufs d'or des industriels jusqu'à ce que certains hommes politiques trempent leurs doigts dans le pot de confiture. Pour limiter l'écho du scandale SAWARI 2, le Président Sarkozy débaptisa l'entreprise et un conseiller facétieux de l'Elysée lui trouva un nom audacieux : ODAS ! OD pour les initiales de l'Amiral nommé PDG de la société et AS pour Arabie Saoudite. La société qui compte une trentaine de cadres n'a pas fait d'étincelles hors commerce courant dont le volume annuel s'élève tout de même à des centaines de millions. ODAS a signé l'an dernier en fanfare un marché d'un milliard et demi d'euros pour « la remise à niveau des navires SAWARI ». En fait il s'agit de travaux d'infrastructures portuaires pour la mise à sec et le carénage des frégates sur la base navale de Jeddah. Coïncidence ou prémonition malicieuse, quelques mois avant la conclusion du marché, la filiale infrastructure d'ODAS, la SOFINFRA qui était solidement implantée en Arabie depuis trente ans a été vendue à une société coquille domiciliée à Saint-Martin des Caraïbes laquelle s'est chargée de se saborder discrètement. Pour les ingénieurs de l'armement, n'y a guère matière à lever un sourcil d'étonnement car pour paraphraser Clemenceau: les affaires militaires sont aux affaires ce que la musique militaire est à la musique.

ODAS, guichet unique des ventes d'armes françaises destinées à l'Arabie a pour actionnaires l'Etat et les principaux fabricants de systèmes de défense. Son Président, ancien Pacha de la Marine Nationale vient d'atteindre l'âge de sa seconde retraite. Le poste prestigieux est bien payé, alors les candidats se sont bousculés au portillon.
Plusieurs hauts fonctionnaires et même un ancien ministre, se voyaient déjà  pantoufler en fumant la chicha. En temps habituel, le pompon serait revenu au mieux pistonné, mais en raison des enjeux fabuleux, la République s'est mise en chasse de la perle rare capable  de concrétiser la ventes de frégates, sous-marins, missiles, satellites, hélicoptères, avions...Des dizaines de milliards d'euros au doigt mouillé.

Le casting était délicat. Il fallait trouver un candidat admissible à la cour du roi Abdallah et des princes influents, (ce qui écartait d'emblée quelques descendants d'Abraham), un homme (certainement pas une femme) capable d'aligner en rang les industriels indisciplinés qui se livrent à une concurrence franco-française suicidaire, un homme capable de mettre au pas des polytechniciens arrogants, un homme capable de gérer l'incroyable « shopping list » de trois milliards payée par l'Arabie pour livrer des armes au Liban, un homme capable de se prémunir des Britanniques et Américains qui répandent des régimes entiers de peaux de bananes, un homme capable de résister aux prédateurs malfaisants de toutes origines et aux intermédiaires de haut vol par l'odeur alléchée de pourboires fabuleux...Bref la perle rare dans un océan d'huitres stériles.

Sans trop hésiter, le Président Hollande, - diplômé HEC et Lt-Colonel de réserve -, a choisi un militaire pour prendre le commandement de la guerre économique française en Arabie. 
C'est le Chef d'Etat Major des Armées qui se reconvertira en Amiral-Président Directeur-Général.
Cet homme vaut maintenant des milliards ! On lui souhaite la baraka.

samedi 11 janvier 2014

Tunisienne citoyenne, Saoudienne moujahidiya



Bouleversante nouvelle de Tunisie : citoyens et citoyennes sont égaux en droit sans discrimination. C'est gravé dans la constitution.
C'est enfin la Révolution !

                 
Cette victoire magnifique n'est pas celle des séculiers sur les religieux, c'est celle de toutes les musulmanes tunisiennes, c'est l'aboutissement du long combat opiniâtre de grand-mères, mères, sœurs, épousées et filles.



Lorsque la Tunisie obtient son indépendance au milieu du siècle dernier, la femme est encore esclave : achetée, vendue, répudiée, enfermée, martyrisée...
Le bien mal nommé Protectorat français n'a jamais protégé les « Fatma ». Les rares féministes parisiennes qui s'aventurèrent dans cette partie de l'Union Française ont rapporté des témoignages ahurissants comme celui des pensionnats où étaient enfermées les épouses sur simple injonction du mari. La Régence s'en accommodait.
Les vieux se souviennent de scènes de la vie quotidienne : lorsqu'un homme s'annonçait en frappant au heurtoir de la porte familiale, Lella tapait dans ses mains pour signaler sa présence dans la maison, « je viens voir notre Sidi ! » criait le visiteur « clap-clap... » répondait Lella pour signifier l'absence du maître. Et l'homme s'éloignait.
Si Tahar, médecin de famille, diplômé de Toulouse racontait en s'esclaffant que son épouse, dans un moment d'égarement, avait un jour proclamé sa folle intention de sortir sans son safsari (voile). Dans ce cas répliqua le docteur, « c'est moi qui le porterais pour cacher ma honte ! » On en resta la.

Dés 1956 Bourguiba entreprend son oeuvre colossale d'émancipation. Plus de trente années de politique des petits pas avec obstination et constance. A Monastir, sur son tombeau, il fit graver cet épitaphe : «  Çi-git Bourguiba, libérateur de la femme tunisienne ». Les historiens diront la part de gloire qui lui revient et celle des innombrables oubliées dont l'équité voudrait que leurs noms soient gravés au « Panthéon des Grandes Femmes ». Car même si le pouvoir de Carthage, marqué par le mythe de Didon a toujours été sous l'influence des mères, épouses et concubines, il s'est levé au fil des ans un souffle de liberté chez les Tunisiennes que rien ne pourra retenir car il est porté par des militantes que le peuple unanime des femmes défend becs et ongles.

Cette victoire – il faut être équitable -, est aussi celle des 155 hommes qui composent l'Assemblée Nationale Constituante car ils se sont en masse ralliés à la cause de leurs 62 collègues femmes.
Ce vote doit aussi être salué comme la première étape d'une révolution inespérée de la doctrine islamiste du parti Ennahdha qui apparaît désormais comme l'admirable parangon des partis musulmans du monde car ses 90 députés ont largement voté l'égalité. Cela n'est pas rien.

Dans la plupart des capitales arabes qui sont gouvernées par d'innommables misogynes l'événement a été censuré. Au Vatican musulman, le séisme a fait frémir d'horreur les docteurs de la foi intégriste qui redoutent toutes formes de déviance satanique. A Riyad, il est commenté avec frayeur car l'union de raison entre des femmes démocrates et les islamistes républicaines en Tunisie coïncide avec l'émergence du mouvement des moujahidiya dans la péninsule.

Jusqu'à l'invasion de l'Irak le jihad était exclusivement masculin. Le rôle des femmes se limitait aux taches de soutiens subalternes : cuisine, lessive, sexe. Puis Zerkaoui a appelé les sœurs à s'inscrire au martyrologe musulman des kamikazes. Ceci a engendré une abondante polémique de fatwa et de contre fatwa pour dire si la femelle avait droit au port d'armes. Les rigoristes prétendaient que la guerre Sainte ne pouvait être conduite par des créatures supplétives dénuées d'âmes, les modernistes admettaient que le jihad au féminin n'était pas un devoir sacré mais une faculté discrétionnaire... Les sœurs se sont engouffrées dans la brèche.
Selon le quotidien Asharq Al-Awsat, Nada Ma'id Al-Qahtani « Soeur Julaybib » dont la gloire est magnifiée sur les réseaux sociaux de la péninsule arabe, commanderait aux côtés de son frère une unité de combattants en Syrie. Une autre Saoudienne, Haylah Al-Qassir, « Lady Al Qaïda » ne serait pas une simple aide ménagère mais une dirigeante de haut rang de la nébuleuse internationale.

Al Qaïda au féminin, c'est aussi la Révolution ! 

mardi 7 janvier 2014

Reverzy et Cossery, deux écrivains pour survivre




De chaque coté de mon lit tourné vers l'Est, deux gros livres encadrent mes insomnies. Des mots ciselés, des phrases qui sonnent, des pages oubliées. Deux chefs d'oeuvres en miroir. Le jour et la nuit, l'ombre et la lumière d'une pareille beauté. Au chevet nord, Reverzy le lyonnais, au sud Cossery l'égyptien. Jean qui pleure, Albert qui rit. L'harmonie parfaite d'une rencontre entre deux sommets littéraires qui se complètent et que je vais tenter de vous résumer.



Jean Reverzy reçut le prix Renaudot en 1954 pour son premier roman « Le passage ». A quarante ans, il lui restait sept livres à publier et cinq années à vivre. Le savait-il ?
Docteur des pauvres, capitaine maquisard héros de la résistance, père tardif d'un fils unique, harcelé par des divorcées cupides, Reverzy était un gentil qui subissait. L'écriture était son refuge.
On l'imagine le soir, dans le silence de son cabinet médical de la Place Bellecour, penché sous la lampe, traçant fébrilement une écriture droite, pure, loyale, dépouillée, célinienne mais sans méchanceté. Reverzy qui ne croyait en rien est un modèle qui mériterait d'être canonisé au Vatican des écrivains.
Il était devenu médecin par empathie mais aussi par dépit car l'école navale n'avait pas voulu de lui. Frustré de voyages lointains, il pressentit l'urgence au soir de sa vie, d'aller visiter le paradis. Il fuit vers Bora Bora et Raiatea où il rédige l'histoire d'une petit colon, Palabaud, qui coule des jours heureux auprès des vahinées. Et puis soudain un jour : une gêne, un bobo, un mal, une douleur, une souffrance, une agonie, la mort et l'autopsie. « Le passage » est le récit fulgurant de la grande éclipse.
Les autres romans et nouvelles de Reverzy sont de la même stupéfiante beauté noire. A lire et relire, l'inoubliable soirée chez le Professeur Joberton de Belleville, mandarin méprisable de la « Place des angoisses ».
Oeuvres complètes chez Flammarion.

Albert Cossery restera le plus grand écrivain arabe contemporain de langue française. Il composait en arabe, il écrivait en français.
Ses mots se dégustent comme des friandises, ils sonnent à l'oreille comme ceux de Piaf ou de la mère de Kalthoum. Un style d'écriture incomparable, des dialogues magiques. Une splendeur d'oeuvres mauresques.
Il est mort il y a peu dans le petit hôtel de Saint-Germain-des-près où il vécut de rêves et d'insouciances comme les personnages de ses romans.
Toute l'oeuvre de Cossery l'égyptien est consacrée à la rue arabe. Non pas celle des quartiers européens du Caire ou d'Alexandrie que les touristes traversent en autocar climatisés, mais celles les venelles fumantes de crasse et de misère où se faufilent des êtres de lumière. Le sourire, le rire, la boutade, la joie de vivre est partout. Etonné de survivre à tant d'adversité, l'Egyptien est en perpétuelle allégresse. Il goûte le moindre souffle d'une vie qu'il sait fragile et éphémère. Son dénuement est sa richesse. Il n'a rien à perdre, rien à espérer, alors il picore le bonheur dans le ruisseau avec ses compagnons de la faim, en dînant d'un bon mot. Rien, non rien ne peut ébranler l'optimisme et la joie de subsister d'un Egyptien.
Misr oum el douniya, matrice de l'univers. Ce pays est la conscience de l'humanité car depuis des millénaires il rit, plaisante, danse, chante sa disette et sa souffrance cependant que le monde des repus se lamente. Mais « Les hommes oubliés de Dieu », les « Mendiants et orgueilleux » les damnés de « La maison de la mort » portent sereinement l'espoir d'une vengeance certaine, celle d'un peuple opprimé qui s'éveille et que rien ne pourra arrêter. C'est la prophétie de Cossery.
Oeuvres complètes aux Editions Joëlle Losfeld.

dimanche 5 janvier 2014

Les étincelles de la Françarabie



Revenons sur le voyage de fin d'année de François Hollande en Arabie Saoudite.
Le 29 décembre à quinze heures, à la minute où il posait le pied sur le tapis rouge du tarmac de l'aéroport Royal de Riyad un communiqué de presse annonçait le dépôt d'une plainte contre EDF dans le Royaume.
Ni le Président de la République, ni celui de l'électricité qui l'accompagnait n'ont réagi. Fidèles à leurs postures favorites, ministres et patrons de la suite officielle ont contemplé leurs chaussures en méditant sur les conséquences de ce camouflet public inédit dans les annales diplomatiques du monde arabe qui traditionnellement accueille les visiteurs étrangers d'un souriant « marhaba », en taisant poliment les sujets qui fâchent.

Soroof International contre EDF International n'est pas un contentieux commercial banal car il porte sur les perspectives du nucléaire civil dans le royaume. Cent milliards de dollars au bas mot. Une paille ! L'entrepreneur saoudien accuse Proglio de déloyauté. C'est le pire des forfaits dans un pays où il est encore d'usage de sceller des transactions qui engagent des générations par une simple poignée de main. Les arabes de la péninsule sont des maquignons au tempérament corse. On ne divorce pas facilement quand on a topé.
Accuser la plus grande entreprise française de trahison pendant une visite officielle n'est pas le geste anodin d'un traine patin. Le plaignant est une Altesse Royale, un intouchable Prince, parent du souverain.

La maladresse commerciale d'EDF qui a pourri la visite présidentielle illustre l'art français de la girouette et la propension à se mêler inopportunément des affaires des autres.
La monarchie saoudienne s'appuie sur un consensus entre des tribus qui se livrent en coulisse à des joutes savantes pour grignoter une parcelle de pouvoir au détriment de leurs cousins. L'équilibre est instable, il dépend du talent et de l'audace des chefs. A la cour les règles de successions ne sont pas simples et le plus vieux roi du monde est gâteux. Il règne mais ne gouverne pas. Son fils le ministre de la garde nationale n'est pas assuré de monter sur le trône, pas plus que le grand chambellant qui dirige le cabinet royal, un roturier. En s'appuyant sur ces deux hommes, l'Elysée a pris un pari d'avenir risqué, mais surtout, il s'est éloigné des clans rivaux. Notamment celui des Sultan qui maîtrise toujours les forces armées et les affaires stratégiques et avec lequel Paris a topé à l'époque du Général de Gaulle lorsque Riyad entendait remercier la solidarité française à la cause arabe.
La mise de Hollande sur la Syrie sera-t-elle récompensée à la même hauteur ? Ce n'est pas certain car en Arabie, cette guerre est loin de faire l'unanimité.
Entre les sept mille princes de la dynastie de Riyad et la bourgeoisie du Levant les liens familiaux existent depuis plusieurs générations car la plupart des nobles ont pour seconde ou troisième épouse une syrienne. Cette guerre entre les Assad et les Saoud est matricide ; il y a désormais autant de sang syrien dans les veines bleus des saoud que sur leur mains. En acceptant un bon d'achat de trois milliards d'armement pour le Liban, Paris joue les intermédiaires.
Tous ceux qui depuis Albert Londres ont voyagé dans la péninsule arabe vous le diront: lorsqu'on perçoit des chikayas sous la tente des bédouins, il est préférable de s'en éloigner. La France en s'inférant risque de récolter des coups en guise de remerciements.

En bousculant les approches prudentes de l'Arabie insondable, François Hollande innove.  A t-il perçu les prémices d'un printemps saoudien qui fera basculer le royaume des ténèbres dans celui des lumières ? La Françarabie du Président nous réservera sans doute d'autres surprises.


Post scriptum : en marge de ce voyage présidentiel, Monsieur Ziad Takieddine a profité des fêtes de fin d'année pour aller faire son shopping à Beyrouth et à Londres. En haut lieu, on s'est soudain souvenu le 31 décembre, que l'alibi public des rétrocommissions franco-saoudiennes n'avait pas le droit de voyager. Il a été interpelé dans l'Eurostar et sommé manu militari d'aller réveillonner en prison.