samedi 2 novembre 2013

Tunisie police et Révolution



La peur s'installe car le risque d'attentats est avéré. Le pays est méconnaissable. Il ressemble désormais à un banal pays arabe terrorisé. L'hiver tunisien s'annonce glacé. 

Avec le recul, on s'aperçoit que la révolution n'était que jasminerie. Le peuple a pris la parole, pas le pouvoir.L'assemblée élue souveraine et le gouvernement issus de la majorité n'ont pas été capables de briser le système autocrate devenu pourtant orphelin. 

Dernièrement, la troïka des chefs (Etat, Gouvernement et Assemblée constituante) s'est proprement fait jeter d'une caserne sous les quolibets d'un bataillon de gardes nationaux alignés pour leur rendre "les honneurs". Peu après, un syndicat de policiers lançait un ultimatum au premier ministre. 
Les chancelleries ont interprété les messages comme étant ceux d'un putsch policier consommé.

Insidieusement, en à peine trois ans, le syndrome de Stockholm a gagné toute la classe politique. 

Le Président Marzouki a été incapable d'assoir l'autorité de la République en dehors de Carthage où il s'est incongrûment installé pensant peut-être que les ors du Palais lui vaudraient respect. Plus grave, il a mis un mouchoir sur les convictions qui hier encore donnaient un sens à sa vie de militant des droits de l'Homme.
Le Président de l'Assemblée Ben Jaafar homme brave de dialogue et de compromis n'a pas su rassembler les constituants en force suprême pour conduire la révolution mais il a modéré avec succès l'énergie brouillonne des représentants du peuple.  Accaparés par leur mission "historique" les députés ont oublié de légiférer. Résultat: les mille sept cents lois scélérates, qui régentent l'appareil répressif hérité de la dictature sont toujours en vigueur.
Le Premier ministre Larayedh valeureux rescapé de seize ans de tortures invraisemblables dans les geôles de Ben Ali est un homme admirable car il ne s'est pas vengé. Mais hélas pour gouverner, la grandeur d'âme d'un homme de foi ne suffit pas, il faut être un peu salopard, ce qu'il n'est pas.
Le chef du parti islamiste s'est composé une posture de Calife distribuant des prêches  à ceux qui réclamaient du pain. Il a en outre oublié que les Tunisiens sont des musulmans nationalistes farouchement attachés à leurs traditions et à leurs rites. A trop vouloir exister dans l'éphémère Qatar, Ghanouchi s'est éloigné de l'école Zitounienne de ses ancêtres. L'Histoire retiendra qu'il a permis aux loups wahhabo-salafistes d'entrer dans la bergerie malékite tunisienne.
L'opposition de droite, qualifiée par les islamistes de bourgeoisie francophone s'est rassemblée autour du patriarche nonagénaire Caid Essebsi qui fut ministre de l'intérieur en 1965 ! Les Tunisiens vénèrent les anciens, alors certains vieux abusent de la faiblesse des jeunes!  

Aucun de ces personnages sans charisme n'a révélé de talents d'homme d'Etat.

L'opposition unie de la gauche est martyrisée. Les députés Belaïd et Brahmi qui affichaient la promesse de la relève ont été assassinés.

Régulièrement, la police laisse fuiter une nouvelle liste de menacés. Alors, un climat de peur s'est installé, amplifié par les rumeurs. Rares sont les hommes publics  qui osent traverser la rue sans gardes du corps. 
On est loin de l'époque où Bourguiba faisait sa marche quotidienne dans les rues de Carthage au milieu des badauds et des touristes avec pour unique compagnie celle de son "ministre de la promenade".
Désormais les protecteurs guident les protégés qui sont leurs obligés. Avant d'accepter un ministère, il est prudent de consulter les marionnettistes de l'ombre.
La peur a également réconcilié la population avec la police jadis détestée.Tous se raccrochent à l'espoir que l'uniforme les protégera du chaos.

La machine sécuritaire héritée de la dictature est une force  dont les effectifs sont un mystère: de soixante à deux cent mille hommes selon les sources. Ben Ali avait soigneusement tissé une toile d'informateurs, d'intimidateurs et d'oppresseurs dont il est encore difficile de mesurer l'ampleur. Le pouvoir issu de la révolution a tenté de mettre au pas la police en limogeant une centaine de flics de haut rang, mais elle a conservé la législation "secret défense" qui permet l'opacité absolue de la "boite noire" (en référence à la teinte du blockhaus de l'avenue Bourguiba qui est le siège du ministère de l'intérieur). 
Les récentes déclarations provocantes des syndicats de police qui revendiquent respectivement quarante mille et dix sept mille adhérents prouvent que l'hydre sécuritaire n'est pas étêtée. L'impunité dont bénéficient les tueurs de députés et la nouveauté des attentats suicides attestent pour le moins d'un laxisme inhabituel des forces de l'ordre.

On trouvera des dizaines de raisons à l'escalade de la violence en Tunisie; mais qu'elles s'expriment dans la guérilla des montagnes à la frontière algérienne ou par des assassinats et des attentats dans les villes, tous les criminels  appartiennent à la secte salafiste qui est sous influence doctrinaire et politique de l'Arabie Saoudite où s'est réfugié l'ancien dictateur Ben Ali. Celui-ci, aux dires de ses proches, vient d'être chargé par Bandar Ben Sultan le chef des services spéciaux du royaume wahhabite d'une mission de conseiller "pour la lutte contre le terrorisme en Afrique du Nord". On croit cauchemarder...!

L'appareil sécuritaire tunisien saura t-il s'affranchir des manoeuvres de son ancien chef ?

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