mardi 13 août 2013

"La baraque à Raymond" le Percheron



A Mortagne-au-Perche le samedi matin, les indigènes et les réfugiés franciliens remplissent leurs filets à provisions de toutes les bonnes choses que produit la région. Le rituel du marché s’achève immanquablement par le pèlerinage à la boulangerie et chez le marchand de journaux.
A la maison de la presse, on y fait désormais sagement la queue depuis que le buraliste vertueux a eu l’idée merveilleuse d’inviter chaque semaine un écrivain pour une séance de dédicace. On y bavarde gentiment avec l’auteur avant de ranger soigneusement l’ouvrage précieux  dans le cabas entre le poulet et les haricots.

A Saint-Patelin la citée voisine  cent pour cent rurale, l’initiative littéraire a fait jaser sous la halle. « Le livre, c’est comme qui dirait d’la nourriture pour l’cerveau, d’ailleurs l’écrivain c’est un p’ti producteur qui travaille à la main ; comme chez nous autres…Alors pourquoi qu’on ferait pas comme ceux d’Mortagne ? » De fil en aiguille les gars décident d’inviter un éleveur de livres à venir vendre ses produits sur le marché. On lui réservera un emplacement entre Pépito, l’affineur de fromages de biquettes et Henriette la maraîchère : une table, une pile de livres, l’écrivain assis, le client debout qui le toise… Mais Lucien trouve que la posture n’est pas conviviale : « ça donne pas envie d’causer ; c’est comme qui dirait chez l’toubib ou l’notaire pas vrai ? » Robert suggère de mettre une table basse et deux fauteuils. Pas valable, ça fait apéro-salon. Finalement tout le monde convient qu’il faut un meuble haut sur lequel on puisse poser le coude et bavarder à hauteur d’yeux. Une sorte de comptoir… « Bah un lutrin tiens pardi ! »

Saint-Patelin est au Perche, ce que Missoula est au Montana.
C’est l’écriture vallée de la France profonde où se cachent les accrocs de l’azerty. C’est une terre de poètes. Si vous y croisez un Percheron, il ne vous dira jamais « bonjour » ; le mot est trop court, trop sec, trop banal. Il vous servira un petit discours plein d’humour et de sous entendu. Si vous savez y répondre, vous illuminerez son jour pluvieux car de retour à la maison, il y consignera la rencontre à la plume ou au clavier.
Parfois, pour provoquer l’occasion d’échange, il met en vente une babiole sur « Le bon coin », prétexte à un rendez-vous au bistrot. Ou bien il fait passer une annonce dans le journal : « Prendrai pour nourriture un cheval pouvant rendre service en échange… » ou bien encore «  Je prie une certaine personne de cesser ses calomnies sous peine de poursuites…» Tenez, à ce propos, l’écrivain percheron Dominique Lemaire en a fait tout un roman. Il est en vente dans les Maisons de la Presse de la région. Cet auteur subtil a aussi publié aux éditions de l’Etrave un passionnant petit polar dont vous vous souviendrez longtemps après l’avoir refermé : « La baraque à Raymond »
Le titre est d’ailleurs en compétition pour « le prix du marché de Saint-Patelin ».

Oui, car il faut vous dire que depuis nos premières cogitations sous la halle, le projet a fait du chemin ! Certes la venue de Philippe Sollers notre premier invité n’a pas attiré les foules, mais son interview à la NHK diffusée au Japon a séduit Haruki Murakami. Il a aussitôt fait le voyage ! Et depuis la visite de la star mondiale du papier imprimé qui a attiré une foule de trente mille fans, le marché hebdomadaire affiche complet chaque semaine. Alors, devant l’afflux des lecteurs, les auteurs en sont réduits à dédicacer leurs livres au tampon encreur !

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