A
Mortagne-au-Perche le samedi matin, les indigènes et les réfugiés franciliens
remplissent leurs filets à provisions de toutes les bonnes
choses que produit la région. Le rituel du marché s’achève immanquablement par
le pèlerinage à la boulangerie et chez le marchand de journaux.
A la maison de la
presse, on y fait désormais sagement la queue depuis que le buraliste vertueux
a eu l’idée merveilleuse d’inviter chaque semaine un écrivain pour une séance
de dédicace. On y bavarde gentiment avec l’auteur avant de ranger soigneusement
l’ouvrage précieux dans le cabas entre le poulet et les haricots.
A Saint-Patelin la
citée voisine cent pour cent rurale, l’initiative littéraire a fait
jaser sous la halle. « Le livre, c’est comme qui dirait d’la nourriture
pour l’cerveau, d’ailleurs l’écrivain c’est un p’ti producteur qui travaille à
la main ; comme chez nous autres…Alors pourquoi qu’on ferait pas comme
ceux d’Mortagne ? » De fil en aiguille les gars décident d’inviter un
éleveur de livres à venir vendre ses produits sur le marché. On lui réservera
un emplacement entre Pépito, l’affineur de fromages de biquettes et Henriette
la maraîchère : une table, une pile de livres, l’écrivain assis, le client debout qui le toise… Mais
Lucien trouve que la posture n’est pas conviviale : « ça donne pas
envie d’causer ; c’est comme qui dirait chez l’toubib ou l’notaire pas
vrai ? » Robert suggère de mettre une table basse et deux fauteuils.
Pas valable, ça fait apéro-salon. Finalement tout le monde convient qu’il faut
un meuble haut sur lequel on puisse poser le coude et bavarder à hauteur
d’yeux. Une sorte de comptoir… « Bah un lutrin tiens pardi ! »
Saint-Patelin est
au Perche, ce que Missoula est au Montana.
C’est l’écriture vallée de la France profonde où se cachent les accrocs
de l’azerty. C’est une terre de poètes. Si vous y croisez
un Percheron, il ne vous dira jamais « bonjour » ; le mot est
trop court, trop sec, trop banal. Il vous servira un petit discours plein
d’humour et de sous entendu. Si vous savez y répondre, vous illuminerez son
jour pluvieux car de retour à la maison, il y consignera la rencontre à la
plume ou au clavier.
Parfois, pour provoquer l’occasion d’échange, il met en vente une
babiole sur « Le bon coin », prétexte à un rendez-vous au bistrot. Ou
bien il fait passer une annonce dans le journal : « Prendrai pour
nourriture un cheval pouvant rendre service en échange… » ou bien encore
« Je prie une certaine personne de cesser ses calomnies sous peine de
poursuites…» Tenez, à ce propos, l’écrivain percheron
Dominique Lemaire en a fait tout un roman. Il est en vente dans les Maisons de
la Presse de la région. Cet auteur subtil a aussi publié aux éditions de
l’Etrave un passionnant petit polar dont vous vous souviendrez longtemps après
l’avoir refermé : « La baraque à Raymond »
Le titre est d’ailleurs
en compétition pour « le prix du marché de Saint-Patelin ».
Oui, car il faut
vous dire que depuis nos premières cogitations sous la halle, le projet a fait
du chemin ! Certes la venue de Philippe Sollers notre premier invité n’a
pas attiré les foules, mais son interview à la NHK diffusée au Japon a séduit
Haruki Murakami. Il a aussitôt fait le voyage ! Et depuis la visite de la
star mondiale du papier imprimé qui a attiré une foule de trente mille fans, le
marché hebdomadaire affiche complet chaque semaine. Alors, devant l’afflux des
lecteurs, les auteurs en sont réduits à dédicacer leurs livres au tampon
encreur !
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