jeudi 8 septembre 2011

Mal de mots

Jadis, ma copine mannequin passait des heures à lécher la vitrine des confiseurs. Aussi gourmande que jolie, l’interdite de grossir salivait devant les guimauves et les chocolateries pendant que les males fantasmaient sur sa lune et ses étoiles. Je fis sa connaissance alors que sortant de chez Millet je m’apprêtais à croquer une religieuse. Je ne pus résister à son regard suppliant. Nous avons partagé notre envie inéquitablement car par charité, j’engloutis le plus gros morceau du gâteau. Coup de foudre, nous sommes devenus complices. Souvent, je la rejoignais, calmant la fièvre de son addiction par quelques gâteries émiettées avec parcimonie.

Nous partagions des mignardises : une conversation, un mille feuilles, ou juste quelques mots de miel et de candi.

Entre deux dégustations, je l’entrainais chez mes dealers. Je croyais que le supplice de l’envie inaccessible épargnait les accrocs à la lecture et qu’il suffisait de pousser la porte d’une librairie pour accéder au libre plaisir des lignes. Les clients s’écartaient devant la jeune filiforme et le vieux ventru. Je reniflais les titres, elle surveillait ma température. Ma méthode était simple : je goûtais à tout, je picorais quelques mots à chaque ouvrage puis relevais la tête pour en savourer le dosage. Je me limitais à l’achat de mille pages, provision raisonnable pour quelques nuits d’insomnies.

Un jour que nous étions cachés sous une couverture, nous fîmes serment de nous délivrer de notre asservissement par intervertissement.

Mon amie dévora ma bibliothèque en commençant par les livres de cuisine. Pomiane, Curnonsky, Guedda, Madame de Grosrouvre…plus de cent volumes engloutis en 80 jours. Puis, de Céline elle ne fit qu’une bouchée, picorant ça et là pour se distraire du Bukowski, du Colette, du Genet, du Saramago et même de l’Althusser qu’elle poussait en sirotant les fables de La Fontaine. Tant et si bien qu’elle tint sans effort aucun sa ligne modèle car désormais elle passait devant les pâtisseries sans les voir, son nez ravissant plongé dans un folio de La Pléiade.

Comme j’en avais fait promesse, je m’interdisais de franchir le seuil des libraires. Le front collé aux devantures, les mains en conques sur les tempes, je frissonnais en manque de parutions. Les bouquinistes me chassaient du pied comme un voyeur lubrique, parfois, pour m’éloigner, ils me jetaient des tranches de Salammbô à moitié rongées par les rats. Depuis, je maigris de jour en jour. J’ai beau m’empiffrer de croissants au beurre, de pâtés en croûte et de poix chiches, il me semble ingérer des confettis.

Je survis grâce à la soupe au vermicelle alphabet et aux biscuits Scrabble avec lesquels j’écris ce billet que je relis sans appétit, dans le fol espoir d’une rémission.

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