jeudi 29 septembre 2011

Les services spéciaux et la République des mallettes

Au cœur des services spéciaux d’Alain Chouet. Le titre est mauvais. Le sous titre est du même tonneau : « La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers ».
Les éditeurs sont des racoleurs pour caddies d’Auchan en quête de barbouze 007.

L’ouvrage mérite pourtant une tête de gondole, mais à La Hune. C’est une lecture conseillée à tous les sciences po de 16 à 77ans désireux de s’ouvrir à l’intelligence. C’est un guide deux en un : le Petit Futé de l’Islam plus le Routard des pays arabes. L’excellent bouquin mal titré mais digne d’être primé, est la transcription littéraire d’un entretien avec Jean Guisnel, ce qui lui donne un incomparable attrait de lecture. Mais ce n’est pas du bavardage de comptoir, c’est de la géopolitique solide, argumentée, ponctuée de formules savoureuses.

Alain Chouet est sans conteste l’un des dix meilleurs experts français d’un monde inconnu qui compte un milliard et demi de mahométans. Mais la science de ce grand serviteur de l’Etat n’a jamais dépassé le cercle restreint de la communauté du Renseignement. L’homme sorti discrètement de l’ombre demeure raillé dans les hautes sphères, son savoir déconcerte les « télé-experts », ses analyses mâtinées de bon sens bédouin et limousin déconcertent les énarques. Et puis, c’est un espion arabophone, un attentif et un curieux qui connaît le décor, les acteurs, les coutumes et les scenarii. Alors forcément sa langue à souvent déplu, davantage encore depuis sa mise à la retraite, car il l’a sortie de sa poche.

Demain, le pouvoir ne pourra plus prétendre à l’innocence de l’ignorance. Alain Chouet est maintenant accessible au grand public. En 1998, il avait écrit que la Tunisie était un chaudron prêt à exploser sous la pression des turpitudes avérées de la maffiocratie du « mari de la coiffeuse et de ses deux cents cousins ». Les membres du gouvernement ont pris le parti d’ignorer les avertissements des hommes à leur service, poursuivant leurs copinages assidus avec des personnages douteux. C’est pourquoi en décembre 2010, la ministre de la défense fut sans doute la seule de son ministère à être surprise par la Révolution qui gâcha ses vacances et compromit les projets immobiliers de ses vieux parents.
Les propos d’Alain Chouet sur l’Iran, l’Arabie, le Yémen, la Syrie, la Libye, le Pakistan...sont diplomatiquement incorrects mais implacablement eprémonitoires.
A lire très vite pour comprendre le monde musulman et les enjeux de la guerre des ombres.

M’accordant une pause casse-croute avant d’entamer le dernier Pierre Péan, je me mis à penser que si Alain Chouet avait enseigné à l’ENE, l’Ecole Nationale d’Exportation - projet d’Edith Cresson torpillé par les énarques- le commerce extérieur de la France ne serait pas moribond et l’économie sur le point de perdre sa notation triple A la fameuse AAA+ des authentiques amateurs d’andouilles.

La République des Malettes est un bon titre de l’enquête de Pierre Péan sur « La principauté française de non-droit », excellent sous titre. N’achetez que la couverture ! Le reste est un peu ennuyeux et surtout très triste.

Le sujet n’était pas facile à traiter car le commerce de l’armement est un domaine crypté, réservé à une petite communauté d’initiés qui se tiennent tous par la barbichette. L’unité de compte étant la centaine de millions, les moyens consacrés par les officines aux traquenards en tous genres dépassent ceux des services officiels.
Le commerce des canons est complexe ; il implique la conversion d’hommes politiques intègres ou cupides car sans leur feu vert, il n’y a pas d’autorisation d’exportation.

Dans ce milieu, les hommes d’affaires ne sont pas des enfants de cœur. On s’en doutait. Pierre Péan les présente comme des voyous de banlieue sans foi ni loi. C’est excessif. Après tout ils ne font que leur métier de prédateur. La plupart ne sont pas de premier choix et leur envergure internationale ne fait pas d’envieux chez nos concurrents. Mais on a les intermédiaires que l’on mérite, il n’y a pas de quoi en faire un fromage sauf lorsqu’il y a mort d’hommes avant la livraison de la marchandise. Le vrai scandale que dénonce Pierre Péan, c’est que ces entremetteurs de paille et de foin entrent à l’Elysée comme dans un moulin. Ils sont à tu et à toi avec les ministres, femmes et maîtresses comprises. Ensemble ils éclusent des vins de champagne et de bordeaux à trois smic le flacon et roulent sous la table en partageant des secrets d’Etat, d’alcôves et de corbeille. On pourrait passer l’éponge si la vocation tardive de nos élus VRP menait au succès. Hélas, à chacun son métier, celui de l’armement ne s’improvise pas et la French Cancan Connexion n’est guère prisée chez les acheteurs de bibelots de guerre. Les insuccès s’accumulent du Brésil à l’Arabie. Les gros clients du Moyen-Orient qui ne sont pas nés du dernier vent de sable, lèvent les yeux au ciel et hochent la tête lorsque par indulgence ils consentent à recevoir la bande des Pieds Nickelés parisiens.

mardi 27 septembre 2011

Tunisie: « Justice – Liberté – Ordre »

Un seul mot résume tous les maux de la Tunisie : injustice.
La liberté est un concept réservé à l'intelligentsia des cultures levantines. L’égalité est à contresens du bon sens car le destin des hommes ne saurait être corrigé puisqu’il est écrit.
Mais nul ne peut nuire sans être puni. Le Tunisien ne transige pas sur ce principe. Sa mémoire est éternelle. Sa révolution réclame avant toutes choses : la justice, al adâla.
Il appelle la foudre sur Ben Ali, sa famille et leurs serviles serviteurs. D’expérience, il se méfie des réquisitoires et des plaidoiries qui résonnent sous les dorures. Vous faisant découvrir sa ville, le chauffeur de taxi vous dira : « voici le Palais de justice…enfin…. voici le Palais car pour ce qui est de la justice, on ne l’y a jamais vu entrer ! » Corruption, chantage, prébendes, les abus de toutes sortes des potentats et de leurs caméristes ont réduit le Tunisien à exercer le seul droit qui lui restait : celui de s’immoler.

L’injustice est une blessure profonde ouverte dans les cœurs depuis des générations. Le protectorat ne fut pas seulement une dépendance, mais surtout au quotidien la manifestation d’une discrimination permanente. L’occupation arrogante et impunie de la Palestine est une souffrance pour tous les arabes. Nul n’a cicatrisé les massacres de Sabra, de Chatila, de Jenin, de Gaza… Par deux fois, Israël a tué sur le sol tunisien aussi. D’évidence, les démocraties du vicomte de Tocqueville protègent l’impunité des assassins. Comment dans ces conditions plaider pour les droits de l’Homme comme socle de la justice ?

Le 23 octobre les Tunisiens voteront pour choisir une assemblée constituante laquelle désignera un Président et un gouvernement. Le scrutin de listes favorisera la représentation de la centaine de partis dont la plupart traduisent les ambitions personnelles de prédateurs.
Déjà, au gré des sondages, se profile une forte majorité de partisans de la justice. Ils suivent le chemin tracé par leurs cousins chrétiens démocrates d’Europe et d’Amérique, au début du siècle dernier. Comme eux ils sont divisés en tendances conservatrices et progressistes dont les parangons sont l’Arabie Saoudite et la Turquie perçus à tort ou sans raison comme des pays de justice. Le Royaume Saoudien applique strictement la loi de l’islam, la République turque l’interprète avec des accents de laïcité.

« Ordre – Liberté - Justice », c’est la devise inscrite sur les armoiries de la République Tunisienne. Quels que soient les résultats du scrutin, la Constituante aura l'obligation de la lire à l’envers.

La Tunisie de demain sera probablement une démocratie musulmane innovante dont la tâche immense sera de réconcilier la République avec la justice avant de prendre Kairouan comme capitale et d’inviter la Tripolitaine à partager son destin.

jeudi 8 septembre 2011

Mal de mots

Jadis, ma copine mannequin passait des heures à lécher la vitrine des confiseurs. Aussi gourmande que jolie, l’interdite de grossir salivait devant les guimauves et les chocolateries pendant que les males fantasmaient sur sa lune et ses étoiles. Je fis sa connaissance alors que sortant de chez Millet je m’apprêtais à croquer une religieuse. Je ne pus résister à son regard suppliant. Nous avons partagé notre envie inéquitablement car par charité, j’engloutis le plus gros morceau du gâteau. Coup de foudre, nous sommes devenus complices. Souvent, je la rejoignais, calmant la fièvre de son addiction par quelques gâteries émiettées avec parcimonie.

Nous partagions des mignardises : une conversation, un mille feuilles, ou juste quelques mots de miel et de candi.

Entre deux dégustations, je l’entrainais chez mes dealers. Je croyais que le supplice de l’envie inaccessible épargnait les accrocs à la lecture et qu’il suffisait de pousser la porte d’une librairie pour accéder au libre plaisir des lignes. Les clients s’écartaient devant la jeune filiforme et le vieux ventru. Je reniflais les titres, elle surveillait ma température. Ma méthode était simple : je goûtais à tout, je picorais quelques mots à chaque ouvrage puis relevais la tête pour en savourer le dosage. Je me limitais à l’achat de mille pages, provision raisonnable pour quelques nuits d’insomnies.

Un jour que nous étions cachés sous une couverture, nous fîmes serment de nous délivrer de notre asservissement par intervertissement.

Mon amie dévora ma bibliothèque en commençant par les livres de cuisine. Pomiane, Curnonsky, Guedda, Madame de Grosrouvre…plus de cent volumes engloutis en 80 jours. Puis, de Céline elle ne fit qu’une bouchée, picorant ça et là pour se distraire du Bukowski, du Colette, du Genet, du Saramago et même de l’Althusser qu’elle poussait en sirotant les fables de La Fontaine. Tant et si bien qu’elle tint sans effort aucun sa ligne modèle car désormais elle passait devant les pâtisseries sans les voir, son nez ravissant plongé dans un folio de La Pléiade.

Comme j’en avais fait promesse, je m’interdisais de franchir le seuil des libraires. Le front collé aux devantures, les mains en conques sur les tempes, je frissonnais en manque de parutions. Les bouquinistes me chassaient du pied comme un voyeur lubrique, parfois, pour m’éloigner, ils me jetaient des tranches de Salammbô à moitié rongées par les rats. Depuis, je maigris de jour en jour. J’ai beau m’empiffrer de croissants au beurre, de pâtés en croûte et de poix chiches, il me semble ingérer des confettis.

Je survis grâce à la soupe au vermicelle alphabet et aux biscuits Scrabble avec lesquels j’écris ce billet que je relis sans appétit, dans le fol espoir d’une rémission.

vendredi 2 septembre 2011

Qui sera la Libye de demain ?


50 mille bombes, 50 mille morts. Kadhafi toujours vivant.
Fallait-il faire la guerre au prétexte que le dictateur est fou ? Car la chose est entendue, depuis quarante ans les observateurs et spécialistes de la pathologie du pouvoir nous assurent qu’il est maboul à enfermer dans sa guitoune. Le Guide agité du bocal sera-t-il finalement camisolé par un autre malin patient ?
On se souvient que Mouammar dans un moment de lucidité, avait jadis estimé que son collègue français était un peu dérangé. Il tenait du camping de Marigny et de l’Elysée que le Président était à soigner. Qui mieux qu’un fou pour juger de la folie d’un autre fou ?
Restons lucide et équitable, le rôle du Président instrumentalisé est secondaire. Reconnaissons le mérite de l’instigateur Général - « le philosophe est le spécialiste des généralistes » - qui a libéré les arabes de la quadragénaire honte que leur inspirait le clown de Tripoli.

Dans ce monde de dérangés, de néoconservateurs pétro-givrés, de sionistes terrifiants, de philosophes déjantés, de nucléaristes acharnés, de va-t-en guerres exaltés, d’hominidés écervelés, la Libye du Kadafou était un refuge où se précipitaient tous les aliénés de la terre. Les palais du roi des fêlés abritaient le gotha des psychopathes cupides, sans vergogne. Où vont-ils trouver asile à présent ? Que va devenir la Gouvernance Mondiale sans bouffon ? Ce régime insupportable était indispensable à l’équilibre international ; c’était le maître étalon de la gouvernance vulgaire, l’exemple de ce que la richesse peut produire de pire. Qui demain prendra sa place ?

L’Algérie est sur les rangs. Elle a tous les superlatifs de la fonction : fortune, corruption, gabegie. Sa jeunesse se jette à l’eau sur des radeaux d’infortune, ses chômeurs s’entretuent, ses anciens meurent faute de soins. De 1992 à 2002, les algériens se sont entre massacrés. Combien ? Nul ne le sait exactement ; plus de cent mille, peut-être plus de deux cent mille… Hommes, femmes, enfants. De bons musulmans, abattus ou égorgés par des takfirites illuminés. Dix ans de cauchemar absolu. Puis dix ans d’accalmie relative. Mais voici que la bête immonde montre à nouveau son museau. Le pays vient de connaître un ramadan de sang.
Le plus spectaculaire attentat du mois sacré est celui de Cherchell. La ville Phénicienne abrite depuis soixante dix ans une Académie militaire qui a formé plusieurs générations d’officiers français, puis algériens.
Le 27ème jour de ramadan, alors que les cadets se rassemblent au réfectoire pour rompre le jeûne, un kamikaze se fait exploser. Les survivants se précipitent au secours des blessés lorsque surgissant à moto, une seconde bombe vivante vient parachever l’horreur.
Je songe à relire « L’attentat » d’alias Yasmina Khadra. Le grand écrivain est un ancien officier de Cherchell. Aidera t-il à comprendre… Qui et pourquoi ? En chaque attentat il y a un message de chantage. Quel est celui de la nuit du destin ?

En 2012 la France commémorera la paix d’Evian et l’Algérie ses cinquante années d’indépendance. Souhaitons que l’une ne fasse plus la guerre et que l’autre soit enfin réconciliée avec elle-même pour affronter tous les insensés de la terre en quête d’un nouvel asile.