mardi 15 juin 2010

L’ami EcriVin

Tiens, hier encore j’ai pensé à toi. Alors en communiant j’ai défloré un flacon de Haut Brion 82. Je ne te dis pas l’envolée des sens. Le petit Jésus en culotte de velours. Rien à voir avec les Châteaux Chalon centenaires que l’on a célébrés dans notre jeunesse, ni les vieux Meursault, ni les Pouilly de Dagueneau qui sont pourtant de sublimes sangs de ceps que les myopes voient blancs alors qu’ils sont roux comme les mèches de Josiane. La Josiane, tu te souviens !

La décantée de Graves n’était pas rouge non plus. Seuls les pochetrons perçoivent cette couleur dans le breuvage du Postillon en bouteille étoilée. Le rouge est une teinte de cosmétique pour les lèvres ou le bout des doigts, il ne peut pas qualifier un nectar divin voyons ! Le vin n’est jamais rouge c’est évident. Même le Beaujolais ; notre honnête Juliénas de chez Santé le bien nommé, a des reflets de sombres carmineux qui échappent à la gamme chromatique. Ne parlons pas des pourpres Clos Vougeot, ni des violets papes de Beaurenard, ni du vermeil cramoisi Montrachet dont les millionnaires indignes écorchent l’appellation d’un « t » insupportable.

La robe du Haut Brion de 28 printemps est une illumination que seule la peinture de Velázquez a peut-être approchée.

Au contact du cristal, le liquide se mit à pleurer. Pour le consoler, je me suis penché sur les bords du verre que j’ai baisé. Puis, les yeux clos, j’ai longuement inhalé un parfum mystérieux. Toutes mes pensées s’étaient évaporées comme accaparées par l’odeur envahissante. En relevant la tête, j’ai tenté d’apprivoiser le plaisir pour mieux le prolonger mais il se dissipait. J’ai replongé le nez dans mon verre après l’avoir délicatement entrainé dans une valse cherchant en vain à perpétuer les promesses de l’ivresse.

Le reste tu le connais ami. Chez toi au paradis des paillards je devine que le Saint Amour est à discrétion, et le Saint Joseph à tire-larigot. Ici, depuis que les docteurs de la foi et du foie m’ont chapitré, je fais ceinture, je carbure surtout à la ferrugineuse. Alors pour tuer la vie d’attente de te rejoindre, j’hume et je rehume…

As-tu déjà croisé Winston Churchill le plus français des anglo-saxons.
Je m’explique, Churchill était un méridional de chez nous. Il aurait pu naitre à Sète, à Marseille ou Tunis. Il avait deux passions : le bon vin et les bons mots, qui sont les accessoires indispensables pour humaniser l’homme en le faisant rire. Alors qu’il commandait une troupe sur le front, il exhorta ses officiers à rire ou à sourire en toutes circonstances. Buveur inextinguible, il se précipita dès la libération vers la Côte d’Azur pour vérifier que la cave de l’Hôtel de Paris à Monaco avait bien échappé aux soudards allemands. Un homme qui lichetrognait du Château Pétrus au petit déjeuner aurait mérité de présider au destin de l’union entre Jack et Marianne ! J’ai appris qu’il avait à la veille de la guerre proposé de fondre la France et la Grande Bretagne en une seule et même nation ? De Gaulle, « so British » qui riait et buvait sobrement avait peut-être à tort boudé la demande de mariage. Il faut lire la passionnante biographie monumentale de Winston Churchill par François Kersaudy. Winston nous a sauvé du nazisme. Tiens en hommage je vais troquer ma Craven A du dimanche pour un double corona avec quelques effluves de Vodka millésime CCCP, c’est bien le moindre !

Au chapitre des grands hommes du passé. Que sont devenus ceux de Dien Bien Phu, la bataille imbécile d’une guerre inutile. Les généraux Giap et Bigeard ont écrit leur histoire de l’Histoire. Mais que s’est-il vraiment passé sur le terrain ? Cinq jeunes, français et vietnamiens, sont allés recueillir les souvenirs des survivants. « Dien Bien Phu vu d’en face » est un remarquable document. Les témoignages sont sans haine ni ressentiment, épurés de toutes passions, précis, factuels. Ce livre donne la parole à des sans grades qui retiennent depuis un demi siècle leur cri de vérité. « La guerre n’est pas une histoire enfantine. Il ne faut pas raconter n’importe quoi » Dit un ancien bô dôi à la journaliste Dào Thanh Huyên qui a initié cette prodigieuse enquête.

Au chapelet du malheur des enfants - ce sont des gosses de 15 à 25 ans qui font la guerre – il y a l’Algérie. Je me souviens de tes confidences l’ami. La rencontre de l’appelé auvergnat découvrant des semblables dans les Aurès. L’amour commun pour les choses essentielles.
Sur la place du marché de Mamers, un auteur sarthois m’a dédicacé son livre de souvenirs. Jacques Gohier dans « L’école des sables » raconte la communale de la superbe palmeraie d’El Oued où il fut instituteur de 1958 à 1962. C’est une carte postale de jeunesse, insouciante mais lucide. Les jolies choses cachent la misère. Les poulbots étaient en haillons, le trachome, la galle, la teigne, les plaies recouvertes de papier journal, les mouches, les sauterelles, le sable, le siroco, les corvées d’adultes, les insultes, la faim, la soif, le bâton sur les mains, les doigts, les pieds. Alors, parfois, ils se défoulaient en martyrisant les varans et les scorpions pour amuser les étrangers de passage. Je sais, j’y étais. S’il vous plait M’siou l’instituteur retournez à El Oued avec quelques journalistes algériens pour interviewer vos anciens élèves ! J’aimerais tellement lire « L’école des sables vue d’en face » aussi.

Tiens, pas plus tard que ce midi en recrachant un abominable vin suédois sans alcool, j’ai encore pensé à toi l’ami…

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