mercredi 25 novembre 2009

La rose et le prisonnier, pensées pour Taoufik Ben Brik

Au pays d’Hannibal, une tradition née de l’inspiration d’un combattant pour l’énergie durable, veut que chaque année la fête de l’arbre soit célébrée par la plantation de millions de pousses. Enfant, j’allais accomplir le rite de novembre aux côtés de mon père, et c’’est ainsi que l’obstination des générations a vaincu une partie du désert.
On peut rêver que dans quelques jours à Copenhague, le grand conclave des écolos décidera d’universaliser ce rite et ordonnera que désormais sous peine de taxe carbone, tous les autres hommes du monde partiront une fois l’an boiser la terre suivant le sage exemple des carthaginois.

Sur le marché de Saint-Patelin, j’ai choisi un plan de rosier. Trois petites tiges arrogantes dépassant d’une motte de glaise sombre. L’étiquette illustrée d’une fleur diaphane précisait « effluve persistant et délicat ». Il y avait aussi une autre variété, grimpante celle-là, à fleurs rouges mais inodores. J’ai hésité à prendre les deux car pour respecter la tradition, la fête du buisson ne doit célébrer qu’un seul scion. Et puis la rougeaude était sans épines, ce qui est signe de tare, d’absence de vigueur, et comme pour me décourager le pépiniériste en mal d’imagination l’avait baptisée « Michel Drucker » ce qui évoqua en moi la perspective de contemplations dominicales fort ennuyeuses. Non, décidément je suis resté sur mon premier coup de cœur : la rose « Françoise Sagan » auteure amoureuse et fragile, intelligente, fulgurante, femme-amante-sœur-confidente, pas maman pour un sou, mais enfant jusqu’au bout. « La Sagan » est une vraie plante de France avec de la sève et des épines. C’est la promesse pour le printemps prochain de la floraison nouvelle de la « vague » aujourd’hui à bout de souffle.
Je me souviens de la petite Françoise regardant tout avec l’air désabusé, avec ses yeux tristes qui soudain sans prévenir se plissaient dans un éclat de rire entre deux déprimes, entre deux brunes ou deux blanches. Sagan était une entichée de livres, une dévoreuse de lignes, de mots, de traits noirs avec ou sans ponctuation.

Une pensée s’envole vers le pays de Perpétue où un poète est vautré sur le grabat d’une geôle « il ne rit pas il aboie, il ne pouffe pas, il jappe » et puis entraîné par l’écriture de sa mésaventure, il comprend tout à coup que lui, le petit fait-divers de l’Histoire, il se glissera peut-être un jour dans les manuels scolaires.
Alors il se met à rire, à rire, mais à rire aux éclats … « preuve éclatante et irrésistible de ta liberté première » lui chuchote le fantôme de Sagan.

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