lundi 19 octobre 2009

Le beau débit de lait


« Pays de veaux aux 300 fromages »
: De Gaulle, historien de la France bovine.

La vache est une merveille de technologie, une usine sur pattes entièrement comestible qui produit quotidiennement des kilos de Danette. Les cornes servent à faire des peignes et des couverts à salades, les pieds de la gélatine, la peau des chaussures, sans parler des préparations à la du Barry, Mironton, Mode, Gribiche, Poivre, Ficelle, Navarin, cuit à point, saignant, bleu ou tartare.
Et le lait ? Le bon le beau lait ? Crémeux, qui tourne, qui se sauve, au riz, de poule, aux œufs, à la vanille, boisson de Mendés France, noisette dans le caoua du matin, soupe le soir.
Peu importe qu’elle soit Limousine, d’Aquitaine ou Normande, en France, la vache après le pinard, c’est sacré.

Dans le Perche on connait l’animal. On le respecte. La table normande lui doit ses étoiles. La crème, c’est comme les zitouns chez moi. Comparaison n’est pas raison, mais essayez de faire des makroud au beurre...ou des brioches à l’huile d’olive ?

L’autre jour Lucien notre boulanger pâtissier est tombé de l’armoire, il a piqué un coup de sang. On le vit surgir de son fournil en agitant les bras comme un fou en vociférant des incohérences. Odette l’épicière et Jeannine la coiffeuse se précipitèrent derrière le pauvre diable qui menaçait de tomber dans le bassin aux cygnes de la place de l’église. Alerté par les femmes, les hommes sont sortis du bistro pour prêter main forte et maîtriser le dément. Trois calvas plus tard, Lucien se calmait.
Le souffle court, encore sous le coup de l’émotion il raconta qu’en rangeant la dernière livraison de son fournisseur habituel « Perche-au-Lait » il fut intrigué par les emballages estampillés HUG. Le mystère le travailla au point de lâcher le four pour l’ordinateur, histoire d’avoir le cœur net. Go-gleu recherche. Ne voilà t-il pas qu’il découvre que les trois lettres inscrites sur ses pots de crème fraîche attestent de leur provenance : la Hongrie ! Le pauvre Lucien en sanglote de honte. « Quand je pense que ma brioche a été primée trois années de suite à la foire des terroirs de Mortagne! »
La femme du boulanger qui était partie en course comme chaque jour à cette heure accourt en hâte, tout inquiète de cette agitation. Entre deux gorgées de raide Lucien lui crie Hongrie. Elle comprend Henri. Elle s’évanouit. Deux chartreuses l’aident à rouvrir les yeux. On lui explique, elle ne comprend pas. Odette et Jeannine l’évacuent sur une chaise.
Le boulanger consterné bafouille. Il prétend qu’après lui avoir pris son honneur, la Hongrie lui prend sa femme aussi.
Pour faire diversion, le patron offre une tournée générale et allume la télé. « KKKK….ZZZZYYY c’est lui, c’est lui ! Complice ! Tout compris… » Hurle Lucien qui replonge dans son délirium. On change de chaine et on lui verse une autre fine dans un verre ballon.

Le lendemain jour de marché, on avait pour une fois de quoi causer. Le Lucien dégrisé ne s’est pas dégonflé. A l’heure de l’apéro dans le troquet bondé, il est venu interpeler mon voisin un éleveur bénévole. « Denis à partir de dorénavant tu me fourniras en lait, beurre et crème. Ton prix sera le mien ! » Il a tendu la main et ajouté en topant « ce qui est dit est dit ! » Quelques pochtrons ont applaudi, d’autres en passant, lui ont donné une bourrade de l’épaule en signe de contentement.
Un quidam a mis une pièce dans le jukebox… « … ah qu’il est beau le débit de lait, ah qu’il est laid le débit de l’eau.. »

Tournée générale !

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