lundi 14 septembre 2015

La marine saoudienne restera-elle française ?



Le Président de la République cultive le paradoxe d'être un inconditionnel allié de la monarchie la plus réactionnaire du monde : l'Arabie Saoudite. Ce soutien est précieux pour le régime wahhabite que les injures aux droits fondamentaux humains détournent de la considération des démocraties. À contre courant, François Hollande enchaîne les sommets et les gestes aimables avec les altesses saoudiennes et ses ministres multiplient les rencontres fort du soutien des entreprises. Car l'exercice français assumé consiste à monnayer cet alignement diplomatique au meilleur prix.

L'expression du besoin de sécurité saoudien
Obsédée par l'Iran la maison des Saoud cauchemarde de finir comme la dynastie des Pahlavi. Ce sentiment ne fait pas l'unanimité de l'opinion mais c'est celui dont se sert le roi Salman, intronisé en janvier dernier, pour asseoir avec son jeune fils Mohamed un pouvoir qu'une partie de la noblesse dénigre ouvertement.
Le laborieux accord sur le nucléaire iranien que Riyad, Tel Aviv et Paris ont vainement tenté de saboter a exacerbé l'iranophobie saoudienne et conduit son monarque a élargir la protection stratégique de son territoire en lançant une expédition coloniale au Yémen voisin. Étonnamment et malgré l'assoupissement de l'ONU, tous les partenaires traditionnels de l'Arabie se sont inscrit aux abonnés absents à l'exception des royaumes arabes. Cet isolement a rendu très précieuse la fidèlité de la France dont la récompense devrait être à la hauteur de son engagement.

Depuis le 25 mars, l'Arabie et les émirats arabes unis bombardent le Yémen à raison d'une centaine de raids chaque nuit ( les milliers de missiles tirés des F16 et Tornado sont made in USA/GB). Recemment, un corps expéditionnaire de 10 000 fantassins serait parvenu a se déployer à Aden et tenterait de conquérir les villes de l'intérieur malgré des pertes sévères. Cette guerre des riches contre les pauvres provoque la mort de milliers de civils malchanceux et l'exode de millions d'affamés dans la parfaite indifférence de la communauté internationale. Les réfugiés fuient par la mer vers Oman, Djibouti et la Somalie ; ils seront aux portes de l'Europe dans six mois.
La conquête militaire est perdue d'avance car le Yémen aux déserts arides et aux montagnes qui culminent à 3 000 mètres est imprenable ; il est de surcroît défendu par un peuple farouche qui porte la kalachnikov en bandoulière dès l'âge de douze ans.

L'ambition d'une marine bedouine
Se rendant à l'évidence tardive de la prédiction des stratèges, Riyad est sur le point de négocier une trève et d'abandonner ses ambitions de conquêtes pour se contenter d'un blocus.
Ainsi, sur sa frontière terrestre avec le Yémen, l'Arabie hâte la construction d'un mur de 1 400 km façon ligne Maginot.
La sécurisation de la façade maritime de 2 000 km qui contrôle notamment l'entrée de la mer rouge et de la mer d'Arabie s'annonce particulièrement difficile. On y trouve des îles par dizaines dont la très stratégique et paradisiaque Socotra face à la Corne de l'Afrique et au nord, l'archipel des Hanishs qui surveille le passage des pétroliers vers la mer rouge et l'Europe. Ces mers sont celles de tous les dangers, des requins pour les nageurs, des pirates pour les navigateurs. Rien n'a beaucoup évolué depuis les récits d'Henry de Monfreid il y a un siècle.
Pour faire main basse sur les profondeurs convoitées de ces rivages et contrôler la navigation en haute mer de ces vastes espaces marins stratégiques, il faut disposer d'une armée navale puissante que ne possède pas encore l'Arabie Saoudite.

Le joker français
La marine royale saoudienne est largement équipée « made in France » depuis qu'au siècle dernier, un ministre gaulliste et un général perspicace ont promis aux Saoudiens d'assurer la formation de leurs équipages. Depuis, chaque année, des cadets par dizaines et des techniciens par centaines viennent se former dans les académies et chantiers navals de Bretagne, de Vendée, de Provence. Apprentissage laborieux pour convertir des bédoins du désert en loups de mer. Contrairement à la légende de Sindbad, les arabes ne sont pas des navigateurs téméraires ; de leur séjour ils retiennent surtout le dicton breton: « horizon pas net, reste à la buvette ».
À défaut d'avoir formé de grands capitaines, les écoles françaises ont transmis une camaraderie de corps et une doctrine d'achat. Les unités lourdes de la flotte saoudienne ont toutes été acquises à la France, notamment sept frégates furtives des programmes Sawari dont les carénages, entretien courant, pièces de rechange, remise à niveau, construction d'infrastructures... génèrent chaque année, un chiffre d'affaires considérable dont les perspectives se trouvent décuplées avec les nouvelles ambitions de l'Arabie.

Car pour se rendre maître des mers qui entourent la péninsule arabique les besoins de la marine royale prennent une nouvelle dimension. Des navires de commandement type Mistral sont une évidente necessité ainsi que l'acquisition d'autres frégates, patrouilleurs rapides, hélicoptères... mais surtout il lui faudra accéder à la maîtrise de l'arme suprême des mers, celle des sous-marins. Pour l'assister dans ce saut technologique, l'Arabie Saoudite a besoin du support inconditionnel et durable d'une marine étrangère.
La France se désigne du doigt pour remporter le marché du siècle et dans l'espoir de remplir son couffin, le premier ministre Manuel Valls se rendra à Riyad le mois prochain à la tête d'une palanquée de ministres et d'industriels ; il ne faut pas se voiler la face, rien que des hommes très probablement.

La guerre des Gaules
Pendant la trêve estivale, ces perspectives ont réveillé les convoitises. Reniflant les étales en quête de poissons pas frais les Gaulois ont repris leurs querelles d'ego et la machine à perdre du commerce extérieur a embrayé.
Selon les informations qui bruissent dans la presse online très renseignée, ODAS, opérateur des contrats d'État à État entre l'Arabie et la France serait mena de fusion-disparition. Son Amiral-Président Edouard Guillaud « L'homme de la Françarabie qui vaut des milliards » est donné limogeable.
En coulisse, les chantiers navals se disputent des commandes putatives et les géants de l'armement s'affrontent pour décrocher la peau d'un ours qui n'est pas encore tué. Ils sont fous ces Gaulois !

Au gouvernement, Le brillant Drian de la défense, sans doute de guerre lasse, a cédé le pas à son collègue des affaires étrangères et de la diplomatie commerciale qui se passionne nouvellement pour la destination au triomphe assuré.
Car durant l'été, nul concurrent étranger ne semblait en mesure de contrecarrer le boulevard des ambitions françaises en Arabie.
Les Britanniques, les Allemands et autres Européens demeuraient disqualifiés en raison de leurs protestations incessantes en faveur des femmes et des hommes flagellés  et étêtés chaque semaine en place publique à Riyad, ou arbitrairement encagés comme l'emblèmatique blogueur Raif Badawi et son avocat Waleed Abu Al Khair.
Les mécréants russes et chinois qui n'ont jamais inspiré confiance au serviteur des deux saintes mosquées ne constituaient pas non plus une menace sérieuse pour les exportations tricolores.
Enfin, les Américains, artisans de l'accord sur le nucléaire iranien paraissaient excommuniés à jamais.



Patatrac !
Après s'être brièvement trempé les pieds à Vallauris, le roi d'Arabie est allé se reposer de l'agitation française à Tanger avant de voler vers Washington. Sa rencontre avec Obama tout sourire a abouti à un revirement diplomatique inouï. Non seulement il a approuvé publiquement l'accord avec l'Iran qu'il fustigeait la veille, mais il a souhaité reconduire pour un siècle le partenariat stratégique conclu entre Roosevelt et Abdelaziz en 1945. Au surplus, il a demandé aux USA de répondre d'urgence aux besoins des armées du Royaume. Et pour concrétiser cette résolution, il a ordonné une royale commande de deux frégates.

À Paris, on médite la fable de la Laitière et du Pot au lait en espérant que les « amis de nos amis » voudront bien nous laisser placer un petit navire.

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