lundi 26 août 2013

Bandar, Sultan des Arabes



Le Moyen-Orient a basculé le 31 juillet dernier, jour où le Prince Bandar Ben Sultan Al Saoud chef des services secrets d’Arabie Saoudite s’est enfermé avec Vladimir Poutine dans une datcha de la banlieue de Moscou. Cette rencontre inédite dans les usages internationaux a fait couler des fleuves d’encre chiffrés dans toutes les chancelleries. Curieusement elle a suscité peu d’échos dans la presse française sans doute accaparée par les universités d’été.

Il est vrai qu’un tête-à-tête entre un homme d’état et le patron des renseignements d’une nation alliée est chose courante ; mais elle est rarissime entre responsables de pays dont les armes s’affrontent sur plusieurs théâtres. De surcroît, il est inédit que ce type de rendez-vous n’ait pas été tenu secret. Mieux, c’est un communiqué laconique de la présidence russe qui a révélé l’entretien  sur  « les relations bilatérales, la situation au Moyen-Orient et (étonnamment) en Afrique du Nord ».
Nul ne sait ce que se sont dit les deux hommes, mais la presse internationale colporte des révélations de propagande savamment distillées par les deux maîtres espions devenus  –originalité de l’histoire contemporaine-  les maîtres du monde arabe.

Etrange rencontre de ces deux hommes que tout oppose. Chacun connaît le cursus de Vladimir Poutine, brillant Colonel de réserve du KGB. Peu  connaissent celui de  Bandar Ben Sultan qui est tout l’envers de la médaille du maître du Kremlin : trapu, ventru, barbu, jovial, fils de Prince, cousin du Roi, chef de la puissante tribu des Sudeiri, impétrant incertain au trône.
L’ancien pilote de chasse commence sa carrière en négociant dés l’âge de trente ans  deux des plus fabuleux contrats jamais signés entre l’Arabie et les Etats Unis. Son mérite est relatif car à l’époque,  son papa est ministre de la défense et de l’aviation. En 1982, il est nommé à Washington. Il y supervisera la livraison des F16, AWACS et autres multiples bricoles qui suivront. Pendant vingt deux ans, le Prince- ambassadeur Ben Sultan Bin Abdulaziz Al Saud  tissera avec l’élite républicaine américaine des liens si forts que l’attentat du 11 septembre ébranlera à peine les relations diplomatiques entre les Etats Unis et la terre de naissance des terroristes. Riche à milliards, le premier acheteur d’armes du monde est courtisé par tous. Il aime le Bourbon, les Cohiba, les jeans, les femmes et les barbecues. Les Bush l’adorent. KSA one  ou BBS est le plus américain des arabes.
En 2005 il revient en Arabie Saoudite après avoir mis de l’ordre dans ses affaires personnelles. « So what ? » Lance t-il à un journaliste naïf qui l’accuse d’avoir perçu un bakchich mensuel de dix millions de dollars pendant dix ans ! L’affaire Yamamah (pigeon en arabe) sera pudiquement enterrée par les Britanniques qui ont lucidement évalué le danger de chatouiller l’homme capable de sanctionner d’un « no fly » tout avionneur insolent.
A Riyad, l’Emir Bandar devient le coordonnateur en chef des puissants services secrets. A peine nommé y a un an, la rumeur le disait rescapé d’un attentat commandité par Damas en représailles d’un coup sanglant: « no comment ».
Contrairement à l’un de ses prédécesseurs qui aimait se promener incognito sur la croisette ou les Champs Elysées, le nouveau patron du General Intelligence Presidency est un passe muraille taiseux qui ne goûte guère les futilités européennes.

Depuis un an, Bandar n’a pas chômé. En catimini, il est parvenu à saper le processus des révolutions printanières et à verser un baril d’huile sur le brasier des arabes. Il a ramené la capacité d’influence du Qatar à celle d’une sous-préfecture, balayé les Frères musulmans, multiplié les explosions d’horreurs en Syrie, Liban, Irak, Yémen, Libye…et sans doute bien au-delà. Fort de ce palmarès, il a suggéré à son roi le très vieux Abdallah (sans abuser de sa faiblesse) de le mandater chez Vladimir Poutine, le seul prédateur à la hauteur de ses ambitions.

Quatre heures de tête à tête. Les deux frères d’armes ennemis en avaient des choses à dire ! En le faisant savoir, ils signifient qu’ils sont désormais les négociateurs agréés exclusifs pour les affaires du Moyen-Orient. La partie sera serrée, les enchères élevées.
En parlant d’égal à égal avec celui que les Américains appellent Bandar-Bush Poutine marque le point contre Obama. Bandar de son coté exhibe avec fracas à la face des arabes et des européens la formidable puissance retrouvée des Saoud. On peut aussi imaginer qu’il jubile de la légère inquiétude qu’a suscité son initiative à  Tel Aviv et Washington.
Car la chose est désormais entendue, la fin du carnage en Syrie et accessoirement  par effet domino, la paix au Liban, en Irak, en Egypte, en Tchétchénie et au Maghreb dépendent du marchandage Bandar-Poutine.

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